Discuter chanson avec Jane Birkin, c’est aussi parler peinture, d’Egon Schiele à Francis Bacon: ça tombe bien, son dernier disque, conçu avec Etienne Daho, est une toile de maître à la belle noirceur.
«Comme disait Serge (Gainsbourg), quand c’est “banal bleu”, tout est lisse, sublime, on n’est pas tentés d’écrire. Quand il y a séparation, blessure, là on voit des nuages à la William Turner qui arrivent», brosse-t-elle pour l’AFP. Comme chez cet impressionniste anglais, la lumière côtoie les ténèbres dans Oh ! Pardon tu dormais… (prévu vendredi chez Kachalou/Barclay/Universal), album inspiré du film et de la pièce de théâtre écrits par Jane Birkin il y a plus de 20 ans, sur le thème de la rupture.
Avec cet opus on ne peut plus intime, elle aborde aussi la mort de sa fille Kate dans les poignants titres Cigarettes («Ma fille s’est foutue en l’air») et Ces murs épais («Moi dehors, toi dessous, cri muet, muet»).
«J’ai débuté avec ces deux chansons en arrivant chez Etienne, elles étaient dans mon agenda, griffonnées, un peu entremêlées. J’avais ressenti un tel manque de Kate, ce jour à Lyon, pendant la tournée symphonique autour de Serge, quand j’ai vu ce petit nécessaire de manucure qui m’a fait penser à elle: ce sont les détails qui flinguent! J’ai dit à Etienne: on va faire Oh ! Pardon… mais j’ai deux ébauches de chanson avec lesquelles il faut démarrer».
«Excitant et stimulant»
Depuis qu’il avait vu la pièce, Daho relançait sans cesse Birkin pour en faire un disque. «Sans lui, je ne l’aurais pas fait, poursuit l’Anglaise préférée des Français. Il avait le temps, et la générosité de donner deux ans, alors qu’il aurait pu faire des choses pour lui. Et il avait ce désir que vous soyez reconnue, une vraie ambition pour vous mettre en avant. C’est excitant et stimulant d’avoir quelqu’un de plus ambitieux pour vous, que vous, et qui ne choisit pas la facilité».
Daho, a composé les musiques – épaulé par son complice Jean-Louis Piérot (ex-Valentins) – et aidé Birkin à malaxer ses textes. Sur des orchestrations majestueuses – entre cuivres et «vagues de violons» comme elle le dit – Birkin n’embellit pas ce qu’elle voit d’elle. «C’est tellement personnel ce disque. Ça dépeint une personne pas très facile, probablement pas très séduisante. Mais j’étais plus attirée par les côtés mauvais, les choses que vous voulez gommer chez les autres: la jalousie féroce, la violence extrême, le côté mauvais coucheur».
Dans Telle est ma maladie envers toi, elle figure la jalousie en mauvaise herbe rampante et maléfique. «C’était dans mon journal intime, j’ai failli ne pas le mettre, ce n’était pas très flatteur pour moi. Mais, hum… après, j’avais l’orgueil de l’écrivain: “c’est bien écrit quand même!” (rires)».
Fantômes et réconfort
Dans les éditions limitées de l’album, elle illustre chaque titre par des dessins d’un trait délicat et habité. «Ces personnages (dessinés) sont un peu squelettiques, un peu disgracieux et c’était bien pour coller aux chansons. C’est mon attirance pour le style d’Egon Schiele, bon c’est une très pauvre imitation (rires)».
Pour Ghosts – un des deux titres en anglais, le reste est en français – elle s’est inspirée des illustrations de Gustave Doré: «Savoir que les fantômes sont comme des personnages et créatures perchés dans ta chambre et que tu n’as qu’à les évoquer et ils sont là, c’est un réconfort».
Et si Daho était un peintre ou une peinture alors ? «Probablement un auto-portrait de Francis Bacon. Avec Bacon, il y a une mise en abîme qui est contrôlée. Tout comme Etienne est dans le contrôle. Il est si tourmenté dedans qu’il est bien obligé d’être dans le contrôle pour rester sur les rails. Mais tu présumes les failles».