Russell Louder présente Humor, un premier album d’électro-pop profond. Compte-rendu d’une rencontre avec l’artiste natif de l’Île-du-Prince-Édouard, dont la musique va droit au coeur.
Puissante et limpide, la voix de Russell Louder atteint des sommets. Dans Humor, celle-ci est magnifiée par d’excellentes sonorités électroniques, qui nous donnent autant envie de danser que les paroles nous portent à la réflexion. «Je ne sais pas s’il y a un message dans l’album, mais j’espère que les gens auront ce dont ils ont besoin», prévient-il.
De quoi aurions-nous besoin, au juste? Eh bien – au-delà d’une nuit blanche agitée sous les néons – de nous trouver dans cette recherche existentielle de soi. Une conscience loin d’être autocentrée, et qui, surtout, ne se limite pas à la transidentité de l’auteur-compositeur-interprète.
«Plusieurs me demandent si Humor est une histoire trans, mais bien sûr que non! Je ne connais personne n’ayant eu aucun de ces questionnements», nous dit Russell Louder de sa belle vingtaine.
Comme dans Home ou Cost of living, «les thèmes de mon disque sont universels, chacun peut choisir sa propre aventure, poursuit-il. Je ne veux pas imposer mon point de vue et dire aux gens ce qu’ils doivent penser de Humor. Tout le monde peut se projeter dans ma musique, car c’est ce qu’on fait tous, n’est-ce pas?»
Genèse d’une création
Si chacun peut interpréter Humor à sa façon, Russell Louder ne renie pas les influences qui l’ont mené à ce résultat. Et le cinéma en fait partie. «Je suis très inspiré les films et leur bande originale. Les séries bien faites aussi. Par exemple, j’ai adoré Russian Doll de Natasha Lyonne. Le concept m’a vraiment impressionné. Il y a tellement d’intrigues que plus on la regarde, plus on en découvre.»
Le musicien avoue également admirer le travail de la cinéaste Miranda July. «Et puis la musique d’Oliver Twist par Rachel Portman… en fait tout ce qui raconte des histoires peut devenir une référence», ajoute-t-il.
«Il y a une évolution de ma voix dans Humor. Dans certains morceaux qui sont d’origine, j’apprenais encore. Pour les titres les plus récents, le résultat est peut-être plus maîtrisé.» Russell Louder
Musicalement, il faut remonter jusqu’en 2016 pour mieux comprendre la mécanique de l’album. Humor compte ainsi une sélection soignée écrite dans l’intervalle. Un an avant, tout avait basculé lorsque Russell Louder était parti en Islande quelques mois pour «changer d’air».
«Mon séjour a été terrible à cause mon état émotionnel», confie-t-il. C’est à ce moment qu’il a décidé d’expérimenter la musique instrumentale et d’y mettre son énergie. «Après ça a eu un effet boule de neige et j’ai commencé à prendre au sérieux mon projet en 2017. J’ai aussi trouvé mon identité vocale à cette époque.»
De la composition à la performance, aujourd’hui Russell Louder fait tout lui-même. «Sinon, mon manager a mixé Humor et j’ai eu de l’aide à la batterie et aux percussions pour quelques chansons», concède l’autodidacte.
Russell Louder, d’une île à une autre
Il semble aussi que l’insularité ne soit pas étrangère à l’empreinte artistique de Russell Louder. «Il y a quelque chose de magique sur une île», raconte celui qui a su puiser sa combativité dans l’isolement de l’Île-du-Prince-Édouard.
«Dans les Maritimes, si tu veux être reconnu en tant qu’artiste tu dois souvent partir pour mieux revenir. Quand je vivais là-bas, je bougeais beaucoup. C’était essentiel pour moi d’aller explorer mon travail ailleurs pour pouvoir rentrer», relate-t-il.
Signé sur le label local Lisbon Lux Records, Russell Louder s’est ensuite rapproché de Montréal. «C’est intéressant si on compare les réalités prince-édouardienne et montréalaise. Les artistes ici ont une existence plutôt tranquille. Bien sûr, ça devient plus compliqué à cause de la gentrification, mais ça reste simple de garder le rythme grâce aux nombreuses communautés créatives.
À l’inverse, dans les Maritimes, «si tu veux que quelque chose se fasse tu dois t’arranger toi-même pour que ça se passe. C’est très microcosmique. Pour cette raison, c’est aussi frustrant que génial». Avec Lavender – chanson qui nous fait voir l’air marin et sentir la liberté à coups de synthés – l’aboutissement n’en est que plus probant.
D’une autre manière, Russell Louder pense que ressentir la solitude à Montréal est tout à fait possible. «Il y a beaucoup de grandes personnalités, donc c’est dur de se faire une place», souligne-t-il.
De l’impact d’être queer
«En tant qu’artiste queer, l’isolement de mon île natale m’a permis d’y voir plus clair sur ce que je voulais et ce que je méritais. Quand j’ai commencé à faire de la musique électro-pop là-bas, je n’ai pas tout de suite été le bienvenu. Ce n’était pas de l’homophobie mais la scène musicale était plutôt dédiée au rock, au country et à la folk. J’aime ces genres mais les gens ne savaient pas trop quoi faire avec moi au début», se rappelle Russel Louder.
Puis, doucement, le musicien s’est vu offrir plus d’opportunités, «car on a bien remarqué que je travaillais comme un fou». Être queer dans une petite ville a donc forgé la personne qu’il est.
«C’est plus facile d’être queer à Montréal, presque un privilège. Même si ma musique n’a pas pour objet la perspective queer spécifiquement, peut-être qu’elle l’est par défaut puisqu’elle vient de moi», imagine-t-il.
Enfin, 2020 aura permis à Russell Louder de finir Humor loin des tumultes imposés par la pandémie. «Je me sens chanceux d’avoir eu une routine en tant que musicien et de prendre du temps pour moi», convient-il.