Ce mois de novembre est sans conteste celui de Natasha Kanapé Fontaine. Le 19, celle-ci se lance en effet en musique avec son EP Nui Pimuten. Puis, la semaine suivante, le 24, son premier roman Nauetakuan, un silence pour un bruit sera en vente en librairie. Rencontre avec cette lumineuse artiste multidisciplinaire innue.
Natasha Kanapé Fontaine, vous explorez des nouvelles formes artistiques. Pourquoi?
C’est vrai! Avant d’arriver à la poésie, j’ai fait de la peinture, du slam, du théâtre, de la scène, etc. Au départ, tout n’était pas forcément lié, mais à un moment donné, ma quête identitaire a pris différentes formes. J’étudiais dans un programme d’art lorsque j’ai publié mon premier recueil, donc c’est peut-être parce que j’ai eu la chance de toucher à plein de choses et que j’étais à l’aise dans chacune. Une douzaine d’années plus tard, je continue de faire confiance à ce que je ressens avant tout pour m’exprimer, sans trop me poser de questions. C’est tout un voyage!
Puisque vous parlez de quête identitaire, Nauetakuan, un silence pour un bruit est-il une autofiction?
Il y a ce point de départ effectivement. Je me suis inspirée de certains événements abracadabrants de ma vie pour créer Monica et sa trajectoire, mais la suite n’est qu’invention. Par exemple, lorsque j’étais aux études, j’ai découvert l’artiste anichinabée Rebecca Belmore, qu’on ne connaissait pas encore vraiment à l’époque. Sa performance The Named and The Unnamed a changé ma vie, car elle m’a menée vers une réflexion politique. Je ne pouvais donc pas ne pas la nommer dans mon roman, même si j’ai initialement envisagé un personnage fictif. Je veux que les gens sachent que c’est en partie grâce à elle que j’en suis là aujourd’hui.
Pour sa part, Monica veut raconter son expérience d’avoir été déracinée et de retrouver son identité, et c’est à moment que la littérature autochtone m’a aidée. Lorsque le visible et l’invisible se côtoient, les choses magiques arrivent! (Rires.) En réalité, il me semble que Monica et Catherine sont autant l’une que l’autre mes alter ego. Je les aime, elles sont mes deux facettes. D’un autre côté, je leur ai aussi donné des caractéristiques de femmes autochtones que je connais. C’est un beau mélange! (Rires.)
L’art a ce pouvoir de nous reconnecter profondément à nos racines et à notre territoire.
Natasha Kanapé Fontaine
Qu’en est-il des survivants des pensionnats, dont vous parlez dans votre roman?
C’est grâce à eux que nous sommes là et Nauetakuan, un silence pour un bruit est une lettre d’amour qui leur est destinée! J’ai toutefois situé l’histoire avant 2020, alors que les découvertes tragiques des pensionnats ne sont pas encore arrivées, mais que le mouvement de réappropriation est en marche. Je m’intéresse aux traumatismes intergénérationnels et j’essaie de comprendre quels en sont les impacts. En les nommant, est-ce qu’on les désamorce? Quels sont les mécanismes d’adaptation? C’est ce que veut raconter Monica. En tant qu’autrice et petite-fille d’une survivante, j’avais besoin de parler des pensionnats depuis longtemps pour aider, apaiser ceux autour de moi.
Vous signez vos ouvrages Natasha Kanapé Fontaine, mais votre nom de scène est Natasha Kanapé. Pouvez-vous nous en dire plus?
En musique, je tenais à ce qu’on me nomme Natasha Kanapé, car chez nous la tradition musicale est très présente et beaucoup d’artistes ont Kanapé pour nom de famille. On vient d’ailleurs tous de Pessamit! (Rires.) J’avais envie de rendre hommage à ma communauté, mon village, pour porter cette tradition.
Comment êtes-vous parvenue jusqu’à votre EP Nui Pimuten?
L’EP rassemble les pièces du spectacle Nui Pimuten – Je veux marcher –dont nous avons commencé la tournée en 2018 – que le musicien Manuel Gasse et moi trouvions les plus mûres. J’ai appris à travailler avec lui à long terme et nous avons réussi à trouver une aisance dans nos créations. Nous avons probablement écrit Les Étrangères en quinze minutes. (Rires.) Il était important pour moi de conserver une forme de poésie dans mes chansons et Manuel Gasse a été un très bon guide.
Que pensez-vous de l’étiquette qu’on accole aux artistes autochtones?
J’ai appris à analyser la littérature autochtone pendant mes études et je dois dire que je m’y sens bien, comparativement à ce qu’on m’avait appris à l’école dans une culture qui n’est finalement pas la mienne. Je comprends que d’autres aient un point de vue différent du mien, mais j’ai besoin de cette étiquette pour que les gens comprennent que je ne fais pas de la littérature occidentale, même s’il y a des influences du fait de l’histoire coloniale. La fin de mon roman, c’est le début de quelque chose… tout comme la littérature autochtone est circulaire. Plus il y aura de productions autochtones, plus les gens seront capables de reconnaître et de nommer l’art autochtone.