Culture

Sarah préfère la course explore des sentiers peu fréquentés

Mélanie Marquis - La Presse Canadienne

MONTRÉAL – N’en déplaise à l’ancienne ministre française Christine Boutin, qui a poussé des hauts cris en apprenant que la Palme d’or avait été décernée à «La vie d’Adèle», un autre film explorant le thème de l’homosexualité féminine a pris l’affiche au Festival de Cannes cette année — et le voilà qui débarque vendredi dans les salles au Québec.

Même si le synopsis de son long métrage n’en faisait pas mention, le «secret» a été éventé depuis que «Sarah préfère la course» a été projeté aux représentants de la presse: le personnage de Sarah (Sophie Desmarais), en pleine en quête identitaire sexuelle, éprouve des sentiments pour l’une de ses compagnes d’entraînement.

Mme Boutin aurait probablement fait une syncope. Après tout, c’est elle qui a lancé en entrevue, au lendemain de la consécration du film d’Adbellatif Kechiche: «On ne peut pas voir un film, une série à la télévision sans qu’il y ait les gais qui s’expriment (…) Aujourd’hui, la mode, c’est les gais (…) On est envahis de gais».

Chloé Robichaud en a presque fait une syncope. «Wo…. OK. Ben ça, si c’est pas de l’homophobie, je sais pas ce que c’est…», a réagi la réalisatrice de «Sarah préfère la course» après avoir été mise au courant de cette déclaration — un commentaire qui a suscité son lot de controverse dans une France polarisée à l’extrême par le débat entourant le mariage entre personnes du même sexe.

«Sarah préfère la course» n’est certes pas «La vie d’Adèle» — un film «magnifique», tient malgré tout à préciser la jeune cinéaste de 25 ans, qui a visionné le film de Kechiche lors de son passage sur la Croisette il y a quelques semaines.

«’La vie d’Adèle’, c’est à l’inverse de ‘Sarah’. C’est très montré, très axé sur la sexualité. ‘Sarah’, c’est axé sur tous les choix de vie qu’une femme qui passe à l’âge adulte doit faire. Donc la recherche sexuelle fait partie de ces choix-là», raconte la cinéaste.

La sortie d’un film mettant en vedette une femme qui éprouve une attirance pour une autre femme est un événement plutôt rare au Québec.

«Léa Pool a traité le thème de l’identité sexuelle maintes et maintes fois. Dans ‘La femme de l’hôtel’ (1984) et ‘À corps perdu’ (1988), entre autres», souligne Paul Tana, cinéaste et professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal.

C’est sans parler de Manon Briand, dans «La turbulence des fluides» (2002), ou encore de Jeanne Crépeau.

«C’est elle (Jeanne Crépeau), à ma connaissance, la première qui a fait un court métrage lesbien, qui s’appelle ‘Le film de Justine’, en 1989», suggère Charlie Boudreau, directrice générale du festival de films LGBT (lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres) montréalais Image + Nation.

Mais on est bien loin de l’«invasion».

«Il y a très, très, très peu de productions LGBT au Québec», confirme Mme Boudreau.

«Je présente plus de films lesbiens italiens, péruviens, chiliens — des pays qui, soi-disant, sont un peu ‘en arrière’ au niveau social, poursuit-elle. Je peux nommer trois films péruviens tout de suite, et il faut que je me creuse la tête pour trouver deux films québécois!»

Chloé Robichaud est sensiblement du même avis: les films québécois lesbiens se comptent «sur les doigts d’une main». Les réalisatrices — surtout les jeunes adultes — qui s’attaquent au sujet ne sont pas légion, remarque-t-elle.

Et c’est dommage, déplore-t-elle. Car l’homophobie existe encore au Québec, et environ une personne sur 10 sera confrontée à des remises en question comme celles qui taraudent le personnage de Sarah, plaide la jeune réalisatrice.

«Les films traitant de l’homosexualité ont encore leur place et ils vont toujours l’avoir. C’est important, il y a tellement de jeunes qui vont passer par là un jour ou l’autre. Et cette phase-là, quand tu arrives au moment où tu réalises que tu as peut-être un désir pour quelqu’un du même sexe, c’est une phase difficile. C’est un constat difficile, parce qu’il y a tellement encore d’homophobie qui est présente autour de nous», exprime-t-elle.

Chloé Robichaud ne fait pas de cachettes en ce qui concerne son orientation sexuelle: sa copine l’accompagnait au Festival de Cannes, elle accorde des entrevues à des publications gaies, a cofondé un site web lesbien appelé Lezspreadtheword, et lorsqu’elle aura le temps de souffler un peu, elle projette réaliser une websérie qui s’intitulera Féminin/Féminin.

«C’est sûr que j’ai envie de m’impliquer. Je ne vais jamais m’empêcher de parler de qui je suis, d’être ouverte sur ma sexualité, dans le sens que je ne vais pas me cacher de ça», lance-t-elle.

Mais en attendant, sur le plan cinématographique, elle caresse l’idée d’explorer d’autres créneaux. Son prochain projet de long métrage, «Pays», qui suivra trois femmes de générations différentes impliquées dans la politique, témoigne de ce désir.

«J’avais envie de parler de femmes de pouvoir parce qu’on ne voit pas beaucoup de genre de personnage-là.»

«Il y a vraiment quelque chose qui se passe. C’est nouveau, ces femmes-là qui vont avoir du pouvoir qui normalement était réservé aux hommes», dit-elle en faisant référence au fait que près de la moitié des provinces et territoires au Canada sont actuellement dirigés par des femmes.

Chloé Robichaud achève l’écriture de ce scénario. Elle aura sans doute plus de temps à y consacrer une fois que le sprint de promotion de «Sarah préfère la course», qui prend d’assaut les salles de cinéma québécoises vendredi, sera complété.

Sarah préfère la course
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