Culture

La vallée des chansons

C’est dans le cadre époustouflant de la Gaspésie que se déroule en ce moment, et jusqu’à samedi, la 31e édition du Festival en chanson de Petite-Vallée. Retour sur un événement aussi enchanteur que nécessaire.

Café de la Vieille Forge. Voilà Daran qui passe. Table voisine, Marc Déry. Je descends aux toilettes et croise Paul Piché qui en sort. Crépuscule au large, je m’assois au bar et commence à chiller avec Daniel Boucher.

Le lendemain, une collègue se rend en stop au village et se fait embarquer par la maudite machine de… Pierre Flynn!

Ce qui étonne le plus lorsque l’on participe au Festival en chanson de Petite-Vallée, c’est à la fois la proximité conviviale avec les légendes de la chanson d’ici et la beauté hallucinante des lieux. Mais une fois la surprise passée, c’est la gentillesse des habitants ainsi que leur fierté tranquille qui nous happent le cœur.

Jour 1
Vendredi dernier, après 10 heures de route sous un ciel fâché, nous avons droit au Bal des chansonneurs : huit jeunes en résidence qui tenteront de faire rouler les dés du destin en leur faveur. Dans le lot, certains y parviendront, dont Sarah Toussaint-Léveillé qui nous a épatés avec nu amalgame de chanson, de folk, de slam et son picking de guitare plutôt relevé. Elle a d’ailleurs remporté le Prix du public quelques jours plus tard.

Jeune rebelle ébouriffé qui n’est pas sans rappeler le Charlebois des débuts, Philippe Brach nous aura arraché (un autre soir) une larme en interprétant T’aurais pu nous prendre à deux.

Une pièce où il imagine une lettre qu’aurait écrite son grand-père au Bon Dieu dans une salle d’attente d’hôpital tandis que sa petite-fille, celle du chanteur donc, jouait sa vie. La démarche un tantinet baveuse de l’artiste, dont la fille va maintenant très bien, n’est pas non plus sans évoquer le côté audacieux de Daniel Boucher.
D-Track, rappeur de l’Outaouais, nous a scié avec sa pièce J’ai un fils, directement inspirée du classique L’alouette en colère de Félix Leclerc. Il devait confirmer plus tard sa plume exceptionnelle en nous dégoupillant un slam percutant sur la religion : Y slam.

Jour 2
Après une prestation de Damien Robitaille à l’épicerie, direction l’église pour assister à la représentation de La petite école de la chanson. Un spectacle très touchant au cours duquel 260 enfants ont interprété un florilège de chansons de l’artiste passeur de cette année : Laurence Jalbert. La flamboyante chanteuse a rejoint les jeunes pour interpréter avec eux, d’une façon très chargée de sens, la pièce Encore et encore. Une immortelle qui, on le sait, raconte l’histoire d’une jeune fille violée.

Jour 3
Après un moment succulent dans le microclimat de Cap-aux-Os, nous sommes allé regarder passer les baleines et nous balader dans le majestueux parc Forillon. Bonheur.

En soirée, c’est une partie du gotha de la chanson qui rendait cette fois hommage à la fille de feu. On n’oubliera pas de si tôt les relectures de certains classiques par Daniel Boucher, Louis-Jean Cormier, Pierre Flynn et autres Bori (lire le texte publié lundi intitulé Le cercle des élus).

Jour 4
Paul Piché nous a tous mis dans sa petite poche avec ses anecdotes avant de nous faire craquer grâce à une version a cappella de L’escalier. «Pourquoi ta chanson se nomme Jean-Guy Léger?» lui a demandé un spectateur. «Parce que j’avais déjà Réjean Pesant», de répliquer en riant le grand six pieds qui a enfilé les classiques comme Maurice Richard marquait des buts.

Après le second spectacle de la moitié des jeunes «chansonneurs», dans une mise en scène plus serrée cette fois signée Michel Faubert, c’est nul autre que Louis-Jean Cormier qui a étiré la nuit en distillant les perles de son premier album solo, avec un superbe agencement de musiciens en formation carrée.

Au moment d’écrire ces lignes, assis devant la mer, Paul Piché et Bori sont en grande discussion, tandis que Moran, qui vient d’arriver, jase avec Daran.

Ivre de vent salin et de mots qui prennent le large, je promets à Moran, même s’il joue tard ce soir, et que, hélas, je pars demain, d’être là comme un seul homme pour l’écouter me raconter son spleen sublimé.

Gorgé de sanglots, je quitte le ciel de Gaspésie léger, mais plus riche qu’avant.

Quand je serai rendu en ville, que je n’en entende pas un me demander : «C’est quoi l’identité québécoise?»

Rendez-vous l’an prochain.

Le Festival en chanson de Petite-Vallée

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Mes coups de cœur

Les artistes, gens, moments qui nous ont le plus marqué durant notre passage au Festival en chanson de Petite-Vallée, en Gaspésie :

  1. Paul Piché, qui chante L’escalier a cappella a dressé au garde-à-vous tous mes follicules pileux! Ex æquo : les sœurs Boulay debout, l’une devant l’autre, livrant un spectacle intimiste en plein centre d’une salle.
  2. Garoche ta sacoche. Mélange des sœurs McGarrigle et des Denis Drolet, ces deux filles de Québec proposent un truc aussi drôle que rafraîchissant, tant dans les mots que dans la désinvolture. Avis à Juste pour rire…
  3. Alan Côté, grand manitou du festival, et les Gaspésiens, gens droits et fiers de qui le Québec tout entier pourrait s’inspirer. Les artistes qui retournent tous les ans s’y ressourcer, comme Marie-Claire Séguin, Bori, Pierre Flynn ou le parolier Marc Chabot, l’ont bien compris.
  4. La chanson du rappeur D-Track : J’ai un fils. Inspiré par l’Alouette en colère de Félix Leclerc, le jeune artiste de l’Outaouais se met dans la peau d’un bébé-boumeur dont le fils se moque des conséquences de sa nonchalance.
  5. Rencart avec Omar. Ouvrir au marteau des homards qui viennent d’être pêchés et les savourer accompagnés de frites bien brunes et d’une sauce au beurre et pamplemousse avec des collègues qui deviennent des amis face à la Grande bleue, ça n’a pas de prix!

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