«La mort est un sujet qui présente beaucoup de potentiel pour un écrivain», remarque Jason Mott. Avec son premier roman, Face à eux, le poète et auteur américain aborde ce thème par le biais du retour à la vie, d’entre les morts, dans un récit fait de solitude, d’espoir, de souffrance, de patience, de pardon.
Avec Face à eux (The Returned dans sa version originale), Jason Mott obtient un grand, très grand succès. Un succès auquel l’auteur originaire de la Caroline du Nord ne s’attendait guère.
Au cœur de ce roman dont les droits ont été achetés par Plan B, la maison de production de Brad Pitt, on retrouve le couple formé d’Harold et de Lucille. Ces septuagénaires marqués par la vie habitent Arcadia, petite ville américaine de 600 âmes. Leur fils a disparu il y a de cela une cinquantaine d’années, en 1966. Depuis, ils ont appris à affronter l’existence, tant bien que mal.
Mais leur semblant de routine s’écroule le jour où leur enfant revient frapper à leur porte, mine de rien, en vie, en santé, et au même âge qu’à sa disparition. Partout sur la planète, le même phénomène commence à se produire. Très vite pourtant, devant le nombre de revenants, la colère monte et les «indésirables» se font enfermer et entasser dans une même bâtisse, ce qui donne lieu à des scènes qui ne sont pas sans rappeler L’Aveuglement, de José Saramago. Pour ce qui est du récit en tant que tel, il n’est pas sans faire écho à celui de la télésérie française Les Revenants… D’ailleurs, parlant série, le livre de Mott sera adapté à la télévision par la chaîne ABC. Entretien.
Dans Face à eux, vous abordez le fait de revoir quelqu’un d’aimé qui est décédé, mais aussi, et surtout, la vie après ce retour, le recommencement. C’est là que réside toute la complexité de la question.
C’était une des grandes idées derrière ce projet : voir comment le retour d’un être aimé affecterait notre dynamique avec cette personne. Car nous changeons lorsque nous perdons des proches.
Vous parlez du clash qui existe entre science et religion. Alors que les revenants se font omniprésents, on assiste par exemple à un débat télévisé entre un scientifique et un homme de foi. Un aspect primordial lorsqu’on traite d’un sujet tel que la vie après la mort?
Bien sûr. Je suis né et j’habite en Caroline du Nord, dans la Bible Belt. L’ambiance est très religieuse, il y a plein d’églises, c’est une immense partie de notre quotidien. En même temps, la mort est indifférente de la religion; c’est un phénomène qui survient, peu importe les croyances d’une personne. Il me fallait donc avoir un point de vue neutre, entre la vision scientifique et l’autre, puisque les lecteurs risquent d’avoir des perspectives différentes suivant leur allégeance.
Le personnage de Harold-le-grincheux est très émouvant. Il est aussi très critique de notre société, des médias, de la religion. Il dit même que «s’il y a un domaine dans lequel les Américains seront toujours les premiers, c’est dans la production en série de connards armés de fusils d’assaut». Avez-vous véhiculé certaines de vos idées à travers lui?
J’ai définitivement glissé quelques-unes de mes opinions personnelles dans certains de mes personnages. Et comme Harold, c’est le vieil homme du Sud que je veux devenir un jour, je lui ai donné plusieurs répliques amusantes et une perspective différente sur le monde.
Et à Lucille, qui possède un vocabulaire très riche, vous avez donné votre amour des mots?
Oui, absolument! Je crois que tous les auteurs sont en amour avec les mots, qu’ils cherchent dans les dictionnaires des termes qui sont rarement utilisés, qu’ils sont séduits par eux. Ça fait partie de ma personnalité.
Vous abordez aussi la question des médias et montrez que leur façon de couvrir un événement donné peut mener à des extrêmes et causer beaucoup de mal. Est-ce un enjeu auquel vous pensez au quotidien?
Oui. Observer les médias et analyser comment les choses sont dites m’a toujours captivé. J’ai toujours été fasciné par la façon dont l’angle d’un reportage et les mots utilisés peuvent changer la signification d’un événement de façon dramatique. C’est une chose qui arrive quotidiennement. Si on ne fait pas attention aux mots que l’on utilise, la chance que les choses tournent mal augmente de façon exponentielle.
Vous entrecoupez votre roman de courts chapitres où vous racontez la façon dont d’autres revenants réagissent, ailleurs sur la planète. Vous montrez ainsi que les histoires des revenants sont aussi nombreuses que les revenants eux-mêmes…
Exact. Avec ces vignettes, je voulais montrer que tout le monde réagit différemment face à la mort. Je voulais aussi rendre justice à sa signification, et aux effets qu’elle peut avoir sur les humains.
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Dans ces vignettes, vous nous présentez par exemple le personnage d’un artiste qui revient à la vie et découvre qu’il est devenu super célèbre après son décès. Le fantasme de tout artiste et écrivain?
Bien sûr! (Rires) Il y en a trop qui connaissent une vie de misère et qui deviennent des icônes seulement après leur disparition. Je voulais mettre en scène un homme qui aurait la chance de voir le fruit de son travail, qui réaliserait que sa vie n’a pas été vaine, qu’il a laissé quelque chose derrière lui.
Votre roman aborde aussi la question de la paternité. Harold, qui y pense beaucoup depuis le «retour» de son garçon, avoue qu’après un quart de siècle d’inactivité dans ce domaine, il se trouve trop vieux pour reprendre le rôle de père dans de bonnes conditions. Lucille souligne un sentiment similaire. Ils estiment ainsi qu’être parent, c’est une chose qui s’apprend et qu’il faut pratiquer pour y exceller. Vous aussi?
Être parent est sans contredit une tâche qui s’apprend. Il faut apprendre très vite et très abruptement. Pour Harold et Lucille, qui n’ont pas été parents depuis 50 ans, être soudain propulsé dans ces rôles est une bénédiction… et une épreuve. Maintenant que ce troisième individu, leur fils, est de retour, ils doivent rattraper toutes ces années où ils n’ont pas fait partie du clan des parents. Ils doivent changer leurs priorités, réaménager leur vie.
Même si cette idée de morts revenant à la vie est surréelle, l’environnement dans lequel vous situez votre livre, les réactions et les conséquences sont très plausibles. Était-ce important de ne pas faire seulement un roman de science-fiction, mais aussi de le situer dans la réalité?
C’était une des principales caractéristiques que je voulais donner à mon roman, oui. C’est très facile de se plonger dans une histoire de science-fiction et de laisser les choses aller trop loin. Je trouvais que le fait de garder l’histoire la plus réaliste possible, ça me donnait davantage de matériel avec lequel travailler, car ça permettait de soulever des questions précises concernant l’humanité.
Certains personnages perçoivent les revenants comme étant une bénédiction, un miracle. D’autres les voient comme étant l’œuvre du diable. Si les morts revenaient à la vie, vous feriez partie de quel camp?
Je tente de rester neutre, de ne pas trop donner mon opinion sur certains sujets et ce n’est pas de la fausse modestie. J’aime que les lecteurs aient leur propre discussion, sans que je la mène, cette discussion. C’est pourquoi il y a des questions concernant le livre auxquelles je ne réponds pas. Je préfère laisser ça entre les mains des lecteurs.
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Dans ses rêves
Jason Mott raconte avoir eu l’idée de ce roman après avoir fait un rêve. Il y revoyait sa mère, décédée il y a quelques années. De nouveau réunis, ils discutaient, s’expliquaient, se racontaient.
Dans Face à eux, on trouve aussi beaucoup de songes, ce qui donne au récit un côté onirique, poétique. Mais surtout, ce procédé a aidé l’auteur à «encapsuler le sentiment ressenti au réveil». «Je me sentais comme si j’avais réellement passé du temps avec elle, se souvient-il. C’était un moment très cathartique, où la plupart des regrets que je traînais avec moi depuis sa mort se sont envolés. Je voulais qu’en refermant le livre, les lecteurs se souviennent, eux aussi, de tous ces bons moments passés avec leurs proches disparus.»
Aux éditions Harlequin
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