Dans Ils étaient quatre, il y a plein de choses. Quatre gars, oui. Mais aussi une recette de cuisine («Réserve les lardons!»), des gros tubes de club (Turn Down for What!) et des éclairages incroyables. «Heille, on a des LASERS!» lance Mani Soleymanlou. Ouaip. Des lasers.
Lorsqu’on arrive à La Licorne, deux heures avant qu’ils montent sur scène, Mani Soleymanlou et Éric Bruneau sont déjà là depuis un moment. Et ils tripent. «Tous les jours, on arrive tôt, on boit des cafés, on parle. C’est comme si on s’en allait jouer au hockey!» lance Éric. «C’est vraiment rock!» concède son comparse.
Si l’ambiance est aussi «rock», c’est peut-être qu’avec cette pièce – qu’il a coécrite avec Mathieu Gosselin, en collaboration avec les trois autres acteurs qui y jouent, soit Éric, Guillaume Cyr et Jean-Moïse Martin – Mani Soleymanlou n’a pas voulu faire «du théâtre avec trois accents circonflexes». «Du théâââââtre», comme dit Éric Bruneau. Pas plus qu’il n’a voulu – «surtout pas!» – faire un «portrait de génération». Et ce, même si avant que la pièce prenne l’affiche, on a beaucoup répété que c’est exactement ce qu’elle serait. «Ouain… c’est des affaires qui restent avec les demandes de subventions et les communiqués envoyés un an d’avance! sourit Mani S. En fait, la pièce, c’est plutôt un portrait de quatre amis. De quatre archétypes.» «De quatre humains de 30 ans», ajoute Éric.
Des «humains» qui portent, soit dit en passant, les vrais prénoms des acteurs. Et qui sont proches de leur vraie «personnalité». Y a Mani, le type auquel on a collé le sceau «Théâtre identitaire». Et Éric, «Monsieur TVA». C’est grossi, c’est juste inspiré de faits réels, on le sait. Reste que, nous-même, à quelques reprises pendant la discussion, on s’enfarge entre la réalité et la fiction : «À un moment donné dans la pièce, Mani, tu affirmes, euh, j’veux dire, ton personnage…»
Le créateur, qui a déjà exploré le procédé du «je» dans Un, Deux et Trois, doit être habitué. N’empêche. Ici, il dit «je» dans un tout autre style. Plus rigolo. Qui lui permet de se moquer de lui-même, de ses potes et de quelques lieux communs. Comme ces : «On était vraiment une graaaande famille!» que les artistes lancent souvent lorsqu’ils sont interrogés sur leur expérience de tournage.
Parlant de lieux, dans Ils étaient quatre, la fameuse «chambre des manteaux» qu’on retrouve dans chaque party de maison joue un rôle important. C’est un point de référence, estime Mani Soleymanlou. «La chambre des manteaux, c’est cliché. Dès qu’on dit ça, tout le monde sait de quoi on parle et peut imaginer le reste.»
Le reste de la soirée, s’entend. De cette soirée qui est au cœur de l’intrigue, qui dérape totalement, et dans laquelle beaucoup reconnaîtront le déroulement plus ou moins «normal» d’une grosse fête. À savoir l’arrivée un peu malaisante. Le copain un peu trop intense. Le moment où quelqu’un hurle «shooters!». L’autre où quelqu’un sort la poudre. La discussion foireuse sur la politique (et la péréquation) qui s’ensuit. La toune triste qu’on met aux petites heures sur «repeat» en sanglotant comme des caves.
«Si on s’appelait Paul, Pierre, Jean et Steve, ç’aurait juste été l’histoire de quatre amis weird qui font la fête. Les gens auraient juste fait “Ah”.» – Mani Soleymanlou, expliquant pourquoi les quatre gars d’«Ils étaient le même nombre» s’appellent Mani, Éric, Guillaume et Jean-Moïse
D’ailleurs, la musique, omniprésente, a été composée pour l’occasion par Philippe Brault, qui agrémente sa trame de gros succès populaires. «On voulait du hip-hop, l’énergie qui s’en dégage», note Soleymanlou. Autre élément fort présent : les substances toxiques, dont la MDMA, qui «enlèvent du sérieux et permettent aux personnages de dire des choses qu’ils ne diraient pas autrement». Un «bon moteur narratif», estime Éric Bruneau. Un bon moteur de danse aussi. «C’est vrai que je danse plus quand je suis un peu parti!» lance son collègue.
Agrémentée de chorégraphies déchaînées, donc, la pièce devient l’occasion d’explorer les codes sociaux d’une soirée, de décortiquer les stratégies de drague, les faux pas. Mani Soleymanlou, qu’on voit sur scène vêtu d’un hip pull marqué Plateau (acheté «à la boutique Fake, sur Rachel», précise-t-il), cite à ce sujet le bouquin The Game : Penetrating the Secret Society of Pickup Artists. «Ça existe réellement, des gens qui voient une soirée de même, comme quelque chose de compliqué! Moi-même, quand j’étais à l’université, JAMAIS je n’aurais pu prendre une bière si je n’étais pas fraîchement rasé et bien habillé. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus simple. Parce que j’ai vieilli et j’ai réalisé que ‘sti que c’est une perte de temps!»
«C’est une parole qui existe difficilement. D’aborder la question du salaire, de nommer ça…! Je trouvais ça intéressant d’en parler. Et je sens chaque fois que le public fait “oh…”» – Éric Bruneau, sur le thème de l’argent, abordé dans Ils étaient quatre
N. B.: Comme chaque fête a besoin de son roi, chaque pièce de théâtre a besoin d’un King des assistants à la mise en scène, rappelle Mani. En l’occurrence, Jean Gaudreau, «un être formidable qu’on ne nomme jamais assez souvent. En fait, qu’on ne nomme jamais.» On en profite pour le saluer.