Culture

Hugo Meunier: Walmart Bar Blues

Avec Walmart – Journal d’un associé, Hugo Meunier revient sur les trois mois qu’il a passés à bosser dans une succursale montréalaise de la multinationale américaine. À mille lieues du brûlot anti-W., le journaliste signe un récit rythmé et vif doublé d’un hommage sincère aux travailleurs.

En 2012, Hugo Meunier s’est fait engager chez Walmart pour un reportage. C’était l’année où Lisa LeBlanc chantait Ma vie c’est d’la marde et où Carly Rae Jepsen («elle est encore big, elle?») priait l’auditeur de Call Me Maybe. Sûr de trouver ça pénible, le journaliste de La Presse a mis son uniforme, avide de confirmer et d’infirmer des mythes célèbres associés au géant du commerce. Confronté à des clients dévorant des chips sans vergogne dans les allées, en charmant d’autres à coups de «veux-tu que je Tide?», l’auteur a trimé et observé, vivant finalement une grande leçon d’humilité. D’ailleurs, le plus grand mythe qu’il a défait, c’est peut-être qu’au final… il n’a pas trouvé ça «si pire».

Au fil de votre récit, vous utilisez moult superlatifs: super-solde, supercentre, superpuissance, scène au superralenti. Est-ce que vous vous sentiez investi d’une supermission?
Oh oui? C’est peut-être parce que j’ai un vocabulaire super restreint! (Rires) Non, mais tout est gros chez Walmart, donc ça marche!

On trouve dans votre essai plusieurs clins d’oeil à des émissions et à des films: Occupation double, Mel Gibson dans Braveheart, Claude Prégent dans Zap, vos imitations de Bruce Willis dans Piège de cristal. Trouviez-vous que ça ajoutait un côté cinématographique à l’expérience?
Je trouvais ça le fun de rendre hommage à Bruce et à mon imitation (que je ne ferai pas aujourd’hui, soit dit en passant, car il faut que je sois un peu chaud pour que ça marche). Mais oui, c’est mon hommage au (fabuleux) cinéma des années 1980. C’est une façon de vulgariser l’essai, de le rendre moins intello, moins plate, moins factuel. Ces petits référents sont très accessibles. Tout le monde ou presque a vu Braveheart. J’imagine? Dans le fond, je suis peut-être juste racoleur et mainstream

«Je ne voulais surtout pas être condescendant. J’étais vraiment dedans. Je ne jouais pas de game.» – Hugo Meunier

Plusieurs éléments rythment votre livre, dont les fréquentes «salves d’applaudissements spontanées des employés».
J’ai utilisé le mot «salves»? (Rires)

En effet! Il y a aussi des «applaudissements timides». Et un «ruban d’inauguration coupé mollement». Aviez-vous l’impression par moments de vivre dans une mise en scène?
Oh oui! Et il fallait que je le prenne de même pour en profiter. Et que je me rappelle que ce n’est pas pour vrai! Parce que je me suis fait prendre au jeu. À la fin, j’étais rendu un VRAI associé!

Il y a quelques éléments dans votre histoire qui ont un côté… presque western. Comme lorsqu’un boss qui ne connaît pas votre nom doit vérifier votre badge pour s’en souvenir. Vous écrivez alors: «Crois-moi, mon homme, un jour, tu vas t’en rappeler.»
J’étais comme James Bond. Moins glam. Moins martini et beau char. Mais quand même dans mon trip infiltré. Quand le patron est venu me voir, au-dessus de ses affaires, «Nah, j’sais pas t’es qui», j’ai fait: «MouAHaHaHa! Je vais tellement faire un reportage sur ton magasin!»

Votre livre est en quelque sorte un salut aux reportages de terrain. Est-il également un petit guide à l’usage des journalistes pour rappeler qu’ils ne s’adressent pas à une entité monolithique? Car vous le rappelez en conclusion: «Personne ne vit la même réalité.»
C’est vrai que j’envoie une petite pointe au monde des médias. On est très Plateau-centriste. On tripe sur nos fromages chez Hamel, notre café à cinq piasses de chez Starbucks, et la Maison du rôti, c’est donc ben hot. Mais il y a d’autres gens qui existent et il ne faut pas perdre contact avec eux. On est privilégiés de travailler dans le monde des médias. On a gagné à la loterie.

Plusieurs images renvoient à l’armée: la rapidité des manœuvres, le bataillon d’associés, «la révolte qui gronde depuis quelques semaines dans le rayon des fruits et légumes», le Boxing Day qui se compare au «débarquement de Normandie», les «soldats euphoriques», la «brigade d’infanterie légère»…
Oui, je suis un soldat raté finalement… Cela dit, je trouve que j’ai même un langage MÉDIÉVAL. Car, comme tout Eustachois qui se respecte, j’ai eu mon trip cheveux longs et Lord of the Rings au cégep.

Vous comparez d’ailleurs la clé du cadenas et du garage conservée jalousement par les gérants du magasin à l’anneau de Frodon.
C’est une rechute de mon passé. Aujourd’hui, je sais que ce n’est plus trendy. Tu ne peux pas te marier médiéval à moins de le faire au quatrième degré. Moi, je le ferais. Mais dans le Sud.

Avez-vous trouvé de la beauté dans la discipline? Un confort? Un épuisement? Un sentiment d’appartenance? Un abrutissement? Un peu de tout ça?
Une fierté. Et un sentiment du devoir accompli. Moi, je travaille dans l’abstrait, je ne produis rien physiquement. J’écris. Ça se passe dans ma tête. Mais chez Walmart, quand ma section, vide, était rendue pleine quand j’avais fini mon shift, WOW. Je trouvais ça super beau! Travailler physique, ça m’a fait du bien.

Ici et là, vous lancez quelques piques «sur le côté». À un moment, vous écrivez par exemple regretter avoir eu l’idée de ce reportage et regretter aussi ne pas être critique de théâtre plutôt que journaliste actu. Au passage, vous en profitez pour écorcher une certaine version d’Oedipe Roi qui vous a déplu en 1998… Des moments où vous vous êtes fait plaisir?
Mets-en! J’ai saisi les occasions! Il fallait que je règle mes comptes avec cette version d’Oedipe. J’ai étudié en lettres, faque j’ai été obligé de m’en taper, des pièces de théâtre! Et il y a eu cette espèce de période bizarre où tout le monde était tout nu sur scène et où c’était correct. Ça m’a vraiment soûlé. Il y a eu la passe aussi où c’était cool d’être habillé avec le linge d’aujourd’hui, dans Le Cid de Corneille. Moi, je suis un puriste! Fais-moi Le Cid, le vrai, fais-moi pas du funky avec de la musique techno, ça ne marche pas!

Au fil des pages, on apprend à vous connaître. Vous nous racontez, entre autres, que vous n’avez pas réussi à vous faire embaucher chez McDo lorsque vous étiez ado, même si vous aviez répondu que vous étiez «trop perfectionniste» à la classique question «Quel est ton pire défaut?». Vous parlez aussi de votre fils qui fait de la natation, de votre haine du mot délecter. Livrer ces infos vous vient naturellement ou vous sentiez que ça nous permettait de mieux nous reconnaître dans votre histoire?
C’était trèèèès deuxième degré. Je ne voulais pas faire un genre de brulot anti-Walmart qui a déjà été fait mille fois. En plus, quand j’écrivais, c’était une période où TOUT LE MONDE faisait sa bio. C’était un petit peu un clin d’oeil à ma frustration face à ça, aussi, de parler de ma vie à travers quelques anecdotes. Je pense que les gens s’en sacrent de moi, en général! (Rires) Si j’avais été une vraie vedette, ç’aurait été moins drôle. Mais que ce soit un nobody qui parle de cours de natation…!

Vous écrivez que, si on faisait un film sur votre expérience, c’est Matt Damon qui vous incarnerait. Et si c’était au Québec?
Guillaume Lemay-Thivierge. Il est bien découpé! Mais il joue dans tout. Claude Legault? Ou non, Roy Dupuis! Un peu ténébreux, ça c’est bon. Je ne sais pas c’est qui la coqueluche de l’heure au Québec. Même Matt Damon, je reviens sur ma décision. Je pense qu’il a 50 ans. Je ne suis plus dans le coup des nouvelles stars.

Ça serait un drame? Un film d’action? Une comédie dramatique?
Une comédie romantique.

Réalisée par…?
Podz. C’est une valeur sûre. N’empêche qu’il y aurait une bonne histoire à faire! Sur les difficultés du quotidien, sur la vie ordinaire du monde ordinaire. Ça serait mieux qu’encore une autre histoire de quelqu’un qui est réalisateur ou qui a un synopsis en cours d’écriture et un loft sur le Plateau comme dans toutes les séries québécoises. Ça serait un hommage au vrai monde. Comme Gaz Bar Blues. Ça, c’était bon.

Walmart – Journal d’un associé
LUX Éditeur
En librairie jeudi

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