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Kent Nagano: Maestro haut de gamme

«Tout comme l’univers, le monde de la musique est en expansion constante. Plus j’y plonge, moins j’en sais à son sujet», note Kent Nagano dans sa biographie au titre festif, Sonnez, merveilles! Un ouvrage dans lequel, question musique, on en apprend quand même pas mal.

Ça commence comme un conte, presque, une histoire magique qui se déroule dans un «pays des merveilles au bout du monde». Plus simplement, dans le village côtier californien de Morro Bay. Un lieu où Kent Nagano grandit et où, grâce à l’arrivée d’un professeur d’origine géorgienne, personnage quasi cinématographique, la musique classique se met à occuper une place immense dans le quotidien et les préoccupations des habitants. Certes, comme dans tout conte qui se respecte, vient une période sombre. Les années 1970 amènent les crises du pétrole, les instabilités. Mais ça finit bien! Presque sur un «ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants».

Reste que, des «enfants» du classique, le maestro aimerait en voir plus. Plus d’amateurs, plus de passionnés, comme lui. En ce sens, Sonnez, merveilles!, ouvrage écrit en collaboration avec la journaliste allemande Inge Kloepfer, est autant une ode à son grand amour – la musique – qu’une bio. Le chef d’orchestre y raconte l’apprentissage du piano, revient sur son arrivée à la tête de l’OSM et les concerts éclatés qu’il a instaurés, se souvient du temps passé auprès d’Olivier Messiaen à Paris, de sa rencontre avec Frank Zappa.

Lorsqu’on le rencontre, pas Zappa, mais le maestro, on souligne qu’en plus d’être captivant, son livre est également pratique : on y apprend par exemple quelle question ne pas lui poser. Comme celle, qu’il qualifie de «banale», à laquelle une «réponse simple et directe est sincèrement impossible», à savoir : «Dites, votre compositeur préféré, c’est qui?» «Malheureusement, il y en a trop, alors l’éditeur a dit non! Non! Non. Que cinq!» s’esclaffe-t-il.

Parmi ces cinq, il y a Bach, son absolu. «Je reviens toujours à Bach comme on revient chez soi», confie-t-il. Il revient aussi, au fil des pages et à moult reprises, sur l’importance de la transmission de ces œuvres qu’il chérit tant. Pour aimer la musique classique, il faut la comprendre, plaide-t-il. Ces merveilles, il faut les faire sonner, sonner, sonner. À la toute fin de l’ouvrage, dans le chapitre réservé aux entretiens qu’il a menés avec des personnalités issues de milieux divers, Yann Martel, auteur de Life of Pi, lui confie d’ailleurs : «Education is the key.» «La clé, c’est l’éducation.» «Yann Martel! C’est un maître de parole, je dois dire!»

«Il y a une raison pour laquelle on réagit aux chansons d’amour. Il y a une raison pour laquelle, si on ne peut pas dire “je t’aime” en mots, on peut écouter Frank Sinatra! Et Mozart. Et Bach.»

S’il note dans ce livre que les ingrédients essentiels pour conquérir le public sont la «ferveur» et la «conviction», en entrevue, Kent Nagano insiste également sur la «qualité exceptionnelle». «Immédiatement, si on joue de façon extraordinairement raffinée ou si on joue “routine”, le public sent ça tout de suite. Tout le monde a besoin de qualité exceptionnelle.»

Exceptionnelle, comme l’est sa célèbre chevelure, à laquelle il fait une (incontournable?) allusion dans son ouvrage, lançant au passage une pique à Bruno Mars et à Katy Perry. Pas trop susceptible de fredonner «Baby, you’re a firework» ou de se lancer dans un p’tit Uptown Funk? Hm, non. Dans un sourire, Kent Nagano se souvient de cette fois, il y a «à peu près sept ans» où sa fille, Karin Kei, qui mène aujourd’hui une carrière de pianiste, lui avait reproché de la «tenir à l’écart de la réalité». Et de ne pas lui faire écouter de la musique «comme tout le monde». Comprendre : comme-tout-le-monde-du-Hannah-Montana. «Vous la connaissez?» s’enquiert-il. Oui, oui. «C’était vraiment la sensation! J’ai donc dit à ma fille : on va s’asseoir ensemble et analyser des chansons, raconte-t-il. Mais d’abord, on est allés au magasin de disques, au département classique, où tout le monde me connaît et j’ai demandé : “Vous pouvez m’aider? Je cherche des albums de Hannah Montana.” On m’a répondu “Maître Nagano! On est au quatrième niveau! Il faut descendre au deuxième!” On l’a fait, on a acheté trois CD, on est allés à la maison et j’ai tenu ma promesse. On a mis le premier CD et on a écouté la première chanson. C’était la plus mauvaise musique que j’aie jamais entendue. Mais par respect pour ma fille, je n’ai rien dit.»

Finalement, c’est elle qui a dit quelque chose : «Papa, tu as raison.»

«Je lui ai alors expliqué que oui, en ce moment, c’est la mode, it’s very fashionable, mais ce n’est pas comme Bach. Ce n’est pas comme Mozart. Eux ne seront jamais démodés. Katy Perry, oui, c’est intéressant. Mais dans 10 ans, est-ce qu’on va s’en souvenir?» On osera avancer que bien sûr, mais en attendant d’en être convaincu, le chef d’orchestre note que la musique classique, cœur de sa vie, et donc de sa biographie, a toujours été pour lui un compagnon. «Elle me montre que je ne suis pas seul au moment de crises extrêmes. De crises personnelles, de crises sociales.» Et en ces temps plus sombres, c’est dans l’art qu’il trouve, comme plusieurs, du réconfort. «Beaucoup de gens se tournent vers la musique parce que les mots ne sont pas suffisants. Évidemment, ça ne résout pas le problème, mais ça amène quelque chose. Plus que des paroles.» Silence.

Sonnez, merveilles!
En librairie
Aux éditions du Boréal

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