Avec des films comme Boys Don’t Cry, Kids et Far from Heaven, la productrice Christine Vachon a eu un impact incommensurable sur le paysage cinématographique américain. Comment a-t-elle su garder le cap malgré les grands bouleversements de l’industrie?
Vous avez été émus par Hilary Swank prêtant ses traits à Brandon Teena, adolescent du Nebraska en pleine crise d’identité sexuelle (Boys Don’t Cry)? Ou par Julianne Moore incarnant une brillante professeure livrant le combat de sa vie contre la maladie d’Alzheimer (Still Alice)? Ou peut-être par le regretté Philip Seymour Hoffman interprétant un pauvre type qui meuble ses temps morts en passant des coups de fil obscènes (Happiness)? Voilà trois films acclamés par le public et la critique, tous produits par une figure de proue du milieu, connue pour son flair infaillible et son franc-parler redoutable : Christine Vachon. Celle qui a cofondé la maison de production indépendante Killer Films avec Pamela Koffler il y a déjà 20 ans a eu une importance énorme pour le cinéma indépendant.
Se retrouvent, entre autres, dans sa filmographie Kids, I Shot Andy Warhol, Velvet Goldmine, Hedwig & the Angry Inch, Far from Heaven et I’m Not There, l’antibiographie de Bob Dylan tournée à Montréal. Christine Vachon, qui s’est toujours intéressée aux propositions cinématographiques exigeantes et dérangeantes, sera à Montréal mercredi pour une discussion au Centre Phi avec le tout aussi anticonformiste artiste manitobain Guy Maddin (The Forbidden Room). À l’approche de la sortie en salle de l’excellent mélodrame Carol, dernière collaboration de Christine Vachon avec Todd Haynes, son grand complice à la réalisation, Métro s’est entretenu avec cette productrice maintes fois primée, qui en a vu des vertes et des pas mûres en un quart de siècle de tournages.
Depuis 25 ans, de grands bouleversements technologiques et économiques en amènent plusieurs à prédire la «mort» du cinéma indépendant. Comme se porte réellement le milieu?
L’industrie a connu d’importants changements dans les 20 dernières années, l’un d’eux étant la transition de la pellicule vers le numérique. Un autre est la mort véritable du DVD. Chaque fois qu’un virage de cette nature est amorcé, l’industrie doit se réajuster, et on sait tous que l’industrie du cinéma dans son ensemble ne bouge ni très rapidement ni très habilement.
Cela étant dit, ces chamboulements peuvent-ils ultimement nourrir la création?
Oui. Il y a aujourd’hui tellement de plateformes vers lesquelles se tourner pour raconter nos histoires, et une véritable explosion de façons de les raconter! La télévision est devenue un endroit idéal pour le genre d’histoires audacieuses qu’on confinait autrefois aux salles de cinéma d’art. Je viens de regarder le premier épisode de la deuxième saison de Transparent [une comédie dramatique suivant le quotidien d’une famille éclatée devant composer avec le coming out du père trans]. Je suis ébahie par sa qualité! Ce n’était pas seulement aussi bon que l’an dernier, c’était meilleur!
En janvier, vous présenterez quatre films au prochain festival Sundance. Cela marquera le 25e anniversaire de la projection du premier long métrage que vous avez produit, Poison, de Todd Haynes, qui avait remporté le Grand Prix du jury. Que retenez-vous de cette expérience?
J’ai eu un coup de cœur pour Todd Haynes très tôt en carrière. J’ai vite été subjuguée par son talent, et je me suis dit qu’il fallait que je trouve un moyen de faire partie de ses projets, chose que j’ai faite. Après Poison, j’ai tissé des liens avec d’autres créateurs, qui ont engendré des films comme Swoon, I Shot Andy Warhol et Go Fish : tous des films dont je suis très fière, et qui sont considérés comme faisant partie de la mouvance du «New Queer Cinema».
Vous êtes justement une des pionnières du courant New Queer Cinema. Or, dans les années 1990, une certaine tranche militante de la communauté LGBT était consternée par les personnages gais marginaux de vos films, l’argument étant que ces représentations «imparfaites» n’aidaient pas la «cause» de l’acceptation. Cela a-t-il été difficile à encaisser?
Je me suis toujours battue contre cette notion qu’il ne devait y avoir qu’une seule image médiatique des gais, positive pour tous. À l’époque, le film Longtime Companion était vu comme l’ultime représentation positive de la communauté. Je trouvais ce film désespérément bourgeois. Si tu étais un homme blanc, tu pouvais probablement t’y reconnaître. Sinon, où étais-tu? Cette notion que la communauté LGBT devait se rallier autour d’une seule représentation était absurde. Swoon était perçu comme mauvais. Basic Instinct aussi… Cela dit, c’était une époque très difficile. Nous traversions un état d’urgence, et plusieurs réalisateurs queer réagissaient au choc de voir leurs amis mourir chaque semaine.
On dit du film Carol qu’il a le potentiel d’être la plus grande réussite commerciale et critique de Killer Films. Alors qu’on discute abondamment du déséquilibre des sexes devant et derrière la caméra, un tel succès pourrait-il encourager les studios à aller vers la parité?
Tout est question de résultats, et non de statistiques. Est-ce que ce constat va inciter certains d’entre nous, que ce soit moi ou de gros studios, à être plus introspectifs dans leurs pratiques d’embauche? Ce serait formidable. Mais je crois que l’idée que des drames portés par des personnages féminins forts ne sont pas aussi rentables que ceux dont les protagonistes sont masculins règne encore. Nous avons prouvé plusieurs fois que c’était faux, encore l’an dernier avec Still Alice, d’ailleurs.
Apparemment que l’identité de l’acteur devant incarner le mari de Julianne Moore dans Still Alice aurait été d’importance capitale pour les investisseurs?
Bienvenue dans mon univers! Vous me demandez si les choses changent réellement. Et avec des trucs comme ça, je ne sais pas. C’est trop tôt pour me prononcer.
Christine Vachon en 5 films
- Kids, de Larry Clark (1995)
- Happiness, de Todd Solondz (1998)
- Boys Don’t Cry, de Kimberly Peirce (1999)
- Still Alice, de Richard Glatzer et Wash Westmoreland (2014)
- Carol, de Todd Haynes (2015)
A Killer Night : une conversation avec Christine Vachon
Au Centre Phi
Mercredi à 18 h
N.B.: La discussion se déroulera en anglais