Dans Cœur de slush, Sarah-Maude Beauchesne racontait le premier amour. Celui qui «reste longtemps». Avec la suite de cet adorable roman coloré d’été, Lèche-vitrines, l’auteure montre que ce «longtemps», c’est plutôt «éternellement». «C’est un peu ça, la conclusion: ton premier amour, il va te marquer toute ta vie.»
Sarah-Maude Beauchesne écrit des sentiments forts, vrais et immenses, en utilisant des mots qui pétillent, en mettant des couleurs partout, en saupoudrant le tout avec juste ce qu’il faut de paillettes. Sur Les Fourchettes, son blogue «pour les grands», elle raconte ses soirées, ses rencontres, les fêtes, les peines. Dans ses romans jeunesse, au nombre de deux au jour d’aujourd’hui, elle suit les péripéties de Billie, qui vit les plus grands événements «du monde». Le plus grand amour «du monde», la plus grande tristesse «du monde». Après le plus bel été «du monde», l’héroïne arrive dans la grande ville de Montréal, pour faire du Lèche-vitrines loin de la maison de son enfance, de son confort. Mais plus près aussi de l’excitation, des nouvelles aventures, de ce garçon qui fait du skate en arborant un air nonchalant. Plus près surtout de la possibilité de «sonder son cœur». Comme l’auteure.
À la sortie de Coeur de slush, en 2014, on a lu tout plein de critiques et de commentaires de filles disant: «C’est mon histoire!» Pensiez-vous écrire un roman aussi «grand public»? Ou espériez-vous secrètement que Billie était tellement spéciale que moins de gens se reconnaîtraient en elle?
Je ne la pensais pas plus spéciale qu’une autre, parce qu’elle est vraiment inspirée de moi. Et ça n’aurait pas de bon sens que je pense que je suis don’ ben spéciale de même! (Rires) Au contraire, j’avais peur, puisque l’histoire est super personnelle, tellement intime, que ça ne touche pas grand monde, sauf les filles qui me ressemblent. C’était comme une «étude» pour voir ce qui touche les jeunes en général. J’étais vraiment contente de voir que mes épreuves d’ado étaient celles de beaucoup d’autres! Je trouve ça beau de voir des petites filles faire: «Moi aussi! Moi aussi!»
Pas juste les petites filles. Les plus vieilles aussi.
Oui! Les nostalgiques. Et les mamans! Et les papas! Il y en a même qui m’ont écrit: «Quand j’ai lu Cœur de slush, j’ai été capable de parler d’intimité avec mon ado plus aisément.»
Billie change un peu dans ce deuxième tome. Alors qu’elle faisait plein de voeux dans le premier (en «croisant les doigts et les orteils» et en suppliant fort «madame la Vie» d’exaucer ses souhaits), ici, ça prend une centaine de pages pour qu’elle en fasse un, «comme avant». Et quand elle le fait, c’est pour demander à «la Vie» de prendre soin de sa mère. C’était important qu’elle se détourne d’elle-même pour se concentrer sur les autres?
C’était vraiment important! Je ne voulais pas qu’elle concentre toutes ses énergies sur avoir un chum, sur tomber en amour. C’est encore présent, parce que c’est inévitable, mais j’avais vraiment le goût que, parfois, elle se mette de côté pour prendre soin de sa mère, de sa sœur, de son père.
Ce père lui rappelle d’ailleurs qu’elle est «une enfant gâtée, mais avec un cœur grand comme ça, alors ça s’annule». Il lui dit aussi, quand elle a de la peine: «On est du monde trop chanceux pour gâcher ça en étant triste.» Avez-vous senti la nécessité de souligner qu’elle a de la chance?
Oui, oui! Je ne voulais pas écrire une histoire moralisatrice sur une fille qui a plein de problèmes. Je voulais montrer qu’être ado, en soi, c’est un peu «drama»! Il n’y a pas de tragédie. Billie vit dans un milieu aisé, ses parents sont présents, elle est bien entourée… Je voulais montrer qu’elle est consciente d’être chanceuse… mais qu’elle a le droit d’avoir des minimalheurs! C’était important pour moi que les petites filles ne se disent pas: «Ouain, elle a tout, pis elle s’en fout!»
La magie teinte vos écrits. Et ceux de Billie aussi. «J’écris encore dans mon journal intime, je raconte ma rencontre avec Erik. Ça me sera utile plus tard quand je serai en manque de magie dans ma vie.» Écrire, c’est un processus magique?
Oui, vraiment-vraiment-vraiment! On dirait que, lorsque j’écris, je beurre épais, j’en rajoute, j’embellis, pis ça me permet de voir ma vie sous un autre angle (parce qu’on s’entend que je parle toujours de ma vie!) Quand ça ne va pas bien, j’écris dans mon journal et je réalise que, OK, ce n’est pas si pire! Ça m’aide à dédramatiser. Je voulais que pour Billie aussi ce soit comme ça. Que ce soit magique pour elle (comme pour moi) de se confier, de s’analyser, d’écrire et de dessiner (pas bien!).
Et le fait qu’elle dessine mal, ça ne doit pas être un hasard…
Non! (Rires) Des fois, je dessine et je me dis: arrête d’essayer, c’est dégueulasse! Il faut même que je décrive ce que j’ai gribouillé, «Ceci est…», parce qu’on ne reconnaît rien!
Billie souligne à quel point c’est essentiel, pour elle, de bien écrire. Elle est toujours déçue que les gars qu’elle aime écrivent si mal. Sa mère lui confie : «Ton père écrit bien, il est sensible, ça paraît dans ses mots». C’est une chose à laquelle vous aussi, vous êtes sensible?
Ben oui! Mon père aussi m’écrit des grands courriels poétiques avec des pensées. C’est tellement important pour moi! Tous les gars avec qui je suis tombée en amour avaient une sensibilité. Mais souvent, c’est décevant. Moi, des «si j’aurais», ça ne passe pas. Si un gars dit «si j’aurais», on n’ira pas boire un café. (Rires) C’est comme les souliers : s’il n’a pas des beaux souliers, c’est non!
«L’amour, pour moi, c’est grandiose et spécial et précieux et plus grand que nature. De nos jours, on tombe en amour juste de même, on s’en fout un peu. Mais c’est méga important! C’est un événement marquant! Il ne faut pas prendre ça à la légère!» – Sarah-Maude Beauchesne, auteure
Quasiment! Depuis que je suis jeune-jeune-jeune, je l’analyse, mon cœur, je prends son pouls. C’est ce que je fais quand j’écris. Je prends de ses nouvelles. Il est au centre de toutes mes journées, de toutes mes réflexions, de toutes mes envies, de tous mes plans. Toutes mes réflexions partent de là.
Les couleurs sont toujours aussi présentes. Inventer des teintes (de vernis, de rouges à lèvres, de cheveux doré-emballage-de-Ferrero-Rocher), c’est comme une signature?
Dans les livres ou les films d’ados (j’en regarde encore plein!), c’est tellement coloré, cette période de notre vie! On ne peut pas passer à côté! Quand je décrivais, par exemple, Pierre [le premier amour de Billie], je ne voulais pas décrire n’importe qui. Je voulais jouer avec les couleurs parce que quand on est ado, le gars sur qui on tripe, c’est le plus nice, c’est le plus beau, c’est le roi du monde. Pierre, dans les yeux de Billie, il est en or. C’est une médaille d’or.
Billie prend des décisions importantes dans Lèche-vitrines, comme ignorer les textos d’un garçon qu’elle aime, mais qui lui fait de la peine.
Ça prend du courage! J’étais fière! Moi, je vais avoir 26 ans et je réponds tout le temps. TOUT. LE. TEMPS! (Rires) Je tombe dans le piège chaque fois! C’est comme un message pour dire: t’es capable, t’es forte!
Justement, vous insérez un clin d’œil sur la technologie, «l’art du courriel», le code des textos, les émoticons, à quel point ça peut être pénible «d’attendre trop longtemps une réponse trop courte». Un reflet de la réalité?
Full! Avec mes amis, on se fait des gros soupers et on parle tout le temps de textos, de Facebook, de statuts… Ça guide nos vies. Et c’est en partie superficiel, mais en partie… c’est ça. On a de la misère, on est maladroits, on est mêlés, on a des attentes. On est en train de s’adapter. Moi, en secondaire 5, je me suis inscrite sur Facebook, et depuis, c’est primordial pour moi. J’ai entretenu des relations à distance là-dessus. J’ai déterminé mon bonheur au quotidien en me fiant sur des Like! (Rires)
Éditions Hurtubise