Qui a tué mon père, adaptation au Quat’Sous du roman éponyme d’Edouard Louis, met en scène Eddy, écrivain parisien qui visite, dans le sud de la France, son père gravement malade, qu’il n’avait pas vu depuis longtemps.
Bien que narré par un comédien à l’accent du fleurdelisé, Félix-Antoine Boutin, le scénario n’est pas adapté au contexte québécois. Il suffit d’accepter la proposition et tout coulera, car oui, il faut s’attendre à entendre quelques termes typiquement français qui détonnent avec l’accent.
Ce monologue se décline en trois tableaux, le premier s’ouvrant au son de Barbie Girl d’Aqua — choix de chanson guère fortuit. Dans la cuisine de son père, qui prépare un réel repas, le fils s’épanche sur son enfance dans la précarité durant les années 1990. Incarné par Martin Faucher, qui fait un retour sur les planches, son paternel reste taciturne tout au long de la pièce, s’exprimant par le regard et par des tensions corporelles.
Sans fard, Eddy relate des épisodes de violence que son père lui a infligés, intercalant son récit de bribes de l’enfance de son père, victime lui aussi de la violence paternelle. La violence conjugale n’est pas occultée non plus.
Bien qu’il s’agisse d’un face-à-face relevant d’une certaine façon du règlement de comptes, Eddy n’invective jamais son père, ne lève jamais le ton en racontant sa souffrance juvénile.
Étant homosexuel, il lui expose combien sa conception de la masculinité, teintée de machisme et d’homophobie, l’a affligé, lui qui voulait tant que son père le regarde, fier, alors qu’il avait orchestré une chorégraphie sur Barbie Girl, revêtant les apparats de la chanteuse. Son père avait plutôt détourné le regard.
Or, ce qui rend cet épanchement singulier est le portrait nuancé que dresse Eddy de son père, le parsemant d’épisodes lumineux témoignant de l’amour paternel, malgré ses failles et les déceptions. Il évoque cette fois où son père l’avait réprimandé pour avoir qualifié les autres fils de sa mère, issus d’un mariage précédent, de « demi-frères ».
Dans le deuxième tableau — qui s’ouvre sur un autre succès pop de la fin des années 1990, Blue (Da Ba Dee) d’Eiffel 65 —, Eddy lie frontalement le politique à la sphère intime de son père, dont le dos a été pulvérisé dans un accident à l’usine où il travaillait.
Se livrant à un réquisitoire, le fils dénonce comment les changements législatifs en matière d’aide sociale aux classes moins nanties qui se sont succédé au fil des gouvernements de Chirac, de Sarkozy, de Macron ont précipité la dégénérescence du corps de son père.
« L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique », énoncera Eddy.
Puis dans le troisième tableau, au relent salvateur, ouvert au son de Prière païenne de Céline Dion, Eddy raconte l’homme nouveau en lequel son père s’est mué. Un homme dénué de ses préjugés féroces d’antan, ouvert aux autres, alors que son corps déliquescent ne rend pas justice à l’homme qu’il est devenu, se désole son fils.
Ce monologue au long souffle (interrompu que par les intermèdes musicaux le temps de changer le décor), tantôt incisif, tantôt tendre, a su nous émouvoir à maintes reprises en nous dévoilant, par la voix d’un fils, les difficultés d’un père à ne pas reproduire le modèle que lui a légué son propre paternel.
Qui a tué mon père
Jusqu’au 10 décembre
Théâtre de Quat’Sous