Allons-y d’une petite devinette. Qu’est-ce qui rassemble le sport, le théâtre, la danse et la lutte contre la culture du viol? La pièce Sportriarcat, quoi d’autre?!
Présenté à l’Espace Libre jusqu’au 1er avril, le spectacle interdisciplinaire féministe est la première création scénique de la compagnie de théâtre Les précieuses fissures, dont la directrice artistique, Claire Renaud, est également l’autrice et la metteuse en scène de Sportriarcat.
«L’affaire Hockey Canada fait dire aux gens que la pièce est vraiment actuelle, commente-t-elle en entrevue avec Métro. Pour moi, c’est la machine de Me Too qui s’est mise en place sur plusieurs années.»
Un sujet tristement d’actualité
C’est en 2018, quand la France a remporté la Coupe du monde de la FIFA, que l’idée de Sportriarcat a commencé à germer dans la tête de Claire Renaud, qui a quitté ce pays pour le Québec il y a plus de 10 ans.
«Je voyais sur les réseaux sociaux des informations sur les agressions sexuelles qu’il y avait eu pendant les festivités. Ça a été mon déclic, parce que post Me Too, je ne comprenais pas comment c’était possible que ça arrive encore.»
Pour la créatrice, l’idée n’était pas tellement de parler de sport, mais plutôt de l’utiliser comme métaphore pour parler de violences sexuelles dans l’ensemble de la société. Elle a finalement été rattrapée par l’actualité quand des gymnastes ont affirmé que le FBI et USA Gymnastics avaient ignoré pendant des années leurs plaintes contre le médecin Larry Nassar, reconnu coupable d’agressions sexuelles.
«Cet événement-là, ça a été ma bougie d’allumage», reconnaît Claire Renaud, qui voyait alors une façon d’aborder la culture du viol comme un phénomène institutionnel qui n’est pas uniquement inhérent au sport-spectacle. «Je ne parle pas des victimes ou des agresseurs, mais du système qui a permis ça.»
Les mois suivants lui auront donné raison d’aller dans cette direction, le scandale d’Hockey Canada démontrant bien la part de responsabilité qui peut incomber aux institutions quand on parle de violences sexuelles.
Et le constat ne s’applique pas qu’au monde du sport, le milieu culturel ayant lui aussi été solidement frappé par la vague Me Too. «On joue sur cette ambiguïté entre le performeur sportif et le performeur de spectacle», précise la metteuse en scène.
«Théâtre documenté»
Claire Renaud ne s’est pas appuyée que sur l’actualité pour écrire Sportriarcat. Souhaitant valider ses intuitions, elle s’est penchée sur des théories sociologiques, philosophiques et féministes afin d’examiner ce que d’autres ont établi comme lien entre le sport et la culture du viol.
«Il y a une cristallisation des inégalités dans le monde du sport, explique-t-elle. Le sport, ça touche toutes les couches de la société. C’est aussi ça qui fait que la masculinité toxique, le culte du corps viril et la domination supposée des hommes sur les femmes se perpétuent à travers ce médium-là.»
Le spectacle ne s’inscrit pas dans la lignée du théâtre documentaire pour autant. Sa créatrice préfère parler de «théâtre documenté», ce qui témoigne de sa recherche tout en laissant imaginer les prises de position artistiques qui l’éloigne du documentaire.
Étant scénographe à la base, Claire Renaud ne commence pas un spectacle par l’écriture. Depuis des années, elle collabore avec la dramaturge Andréane Roy, comme ç’a été le cas pour Sportriarcat. Ensemble, elles partent à la recherche de la matière documentaire et dramaturgique qu’elles présentent ensuite à l’équipe – dont les interprètes -, qui se met alors à écrire les scènes.
Deux éléments se sont imposés d’eux-mêmes dans le processus de création: la danse et l’humour, forcément grinçant. «Je joue avec les codes de la culture populaire et sur des reconstitutions de scènes qu’on connaît très bien. Il y a une complicité avec le public qui se crée à partir de ce jeu sur les archétypes», illustre l’artiste, dont l’humour se traduit également par le jeu des six interprètes, qui s’amusent en passant d’un personnage à l’autre.
Recréant tantôt une scène de compétition, tantôt une entrevue télévisée ou un discours après une victoire, lesdites interprètes – Chloé Barshee, Laura Côté-Bilodeau, Krystina Dejean, Marie-Reine Kabasha (qui signe également la chorégraphie), Geneviève Labelle et Rosalie Leblanc – font mouvoir leur corps de manière à faire écho à certains sports par la danse.
Mais le langage corporel créé par l’équipe est plus large, croit Claire Renaud. «C’est comme si on avait créé de nouvelles disciplines. Ça serait quoi, les règles du jeu du patriarcat? Ça serait quoi, une discipline aux Jeux olympiques du féminisme?» Manifestement, ça serait Sportriarcat.