Il y a environ dix ans, je débutais, sans que ceci soit voulu ou encore moins planifié, dans le domaine médiatique. S’est posée rapidement la question névralgique suivante, laquelle me tarabuste toujours, mais dans une moindre mesure, aujourd’hui: doit-on accepter de participer à tout type de médias, sans égard au style de l’animateur ou auditoire?
Le dilemme s’est incrusté par lui-même, en fait, aux suites d’un débat à Denis Lévesque portant sur la constitutionnalité de la Loi 12. Celle-ci visait, plusieurs s’en souviennent, à réprimer les manifs étudiantes de la pire façon possible, soit en matraquant les droits fondamentaux et autres séparations des pouvoirs. Des collègues universitaires devaient le lendemain se moquer de moi. Pourquoi? Parce que quiconque souhaitant préserver une réputation académique d’intérêt ne peut s’abaisser, apparemment, à une émission à la sauce «people».
Au diable, donc, les 400 000 auditeurs de Denis et leur droit de vote. Au diable aussi la transmission des connaissances, la cohésion sociale afférente et le devoir de participer, dans ces ères de populisme, à un univers démocratique de plus en plus fragilisé. En bref, poursuivons l’opération d’auto-flattage égocentrique de bédaines simultané. Fuck off. J’irai quand même. Parce que la démocratie, peut-être malheureusement, s’exerce davantage à TVA que dans quelconque fac de droit. Plate de même.
C’est ainsi que je devais, au fil du temps, défendre des postures dites de gauche, mais aussi les paradigmes de l’État de droit, la liberté de religion au premier chef. Difficile? Bien entendu. Plaisant? Pas toujours. Notamment quand les lignes ouvertes se déchaînaient sur ma noix. Quoi, Bérard, t’es contre un référendum sur la présence d’une mosquée à Ahuntsic? Oui, monsieur, je suis contre. Boum-Vrouf-Boum (bruit d’explosion). Toi, mon p’tit christ, on va t’envoyer à l’État islamique pour qu’ils te coupent la tête et t’apprennent à réfléchir!! Ok, monsieur…
Et pourquoi ces participations perdues d’avance? Parce que je croyais, et crois encore, que chaque auditoire a droit d’obtenir divers points de vue, des infos de sources variées. Lévesque m’offre la possibilité de défendre l’aride et non sexy État de droit? Go. Peu importe la probance du résultat. Pensée aussi à mes grands-parents maternels qui, du fait de leur deuxième et cinquième année respective, préféraient les TVA et TQS à Radio-Canada. Loin d’être des imbéciles, ceux-ci aimaient que l’on s’adresse à eux avec intelligence, mais dans un style accessible. Merci à eux pour la leçon sur la nature et essence même de la démocratie, laquelle m’est encore utile aujourd’hui.
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Reste toutefois, et je m’en confesse ici, l’enjeu actuel propre à la pandémie. D’aucuns voyaient, avec un populisme exacerbé de par l’arrivée des Trump et ses copains, l’affaire se tramer. «Mon opinion est plus importante que ta science» devient ainsi, en un sens, le leitmotiv d’un mouvement conspirationniste en pleine fulgurance. Devant les réactions de mépris enregistrées, quelques intellos ou chroniqueurs plaident le dialogue, la bienveillance. Ma posture prépandémie, quoi.
Sauf qu’ici, plus sûr du tout. Vous voulez sérieusement dialoguer, voire convaincre, les 25% des Québécois croyant que le présent virus ait été crée en labo? Ceux qui y voient un lien avec le 5G? Qui jurent que les chemtrails résultent d’un complot visant à nous empoisonner? Que Trudeau siège au sein d’une organisation pédosatanique? Que le sous-sol d’une pizzéria de Washington est empli de ti-culs prisonniers à des fins de fabrication d’une quelconque dope dont seraient accrocs certaines vedettes d’Hollywood? Qui plaide simultanément la non-existence de la pandémie et l’utilité de la chloroquine afin d’y mettre fin? Que Gates aurait provoqué l’actuelle crise afin de nous mitrailler un vaccin inexistant et, par conséquent, de nous micro-pucer? Que les médias traditionnels participent à cette mascarade complotiste visant à nous faire avaler, à grands coups de masque, notre propre bave?
Un dialogue, donc, sérieux? Cute. Alternative, à part bien sûr assister à l’écroulement de nos socles sociétaux? Aucune idée. Et c’est probablement ce qui est, dans ce spectacle de clowns, le plus triste.