Des légumes «nus», des féculents en vrac pour des clients munis de leurs propres contenants: face à des consommateurs de plus en plus soucieux de l’environnement, des supermarchés britanniques rivalisent pour réduire l’emballage plastique dans leurs rayons, accusé de polluer la planète.
«Aujourd’hui, j’ai fait mes premières courses sans plastique!», se réjouit May Stirling, une mère de famille de 49 ans, venue «spécialement» de Ramsbury, à 60 km, pour le grand «déballage» organisé pendant l’été dans l’un des magasins de la chaîne Waitrose à Oxford (centre de l’Angleterre).
Ici, 160 sortes de fruits et légumes ont été dépouillés de leur emballage plastique et un espace de vrac pour féculents, céréales, vin et bière a été installé.
Une scène qui tranche avec le tableau habituel des supermarchés britanniques où tout semble sous plastique: bananes, avocats, concombres… À elles seules, les dix principales enseignes mettent chaque année sur le marché 810 000 tonnes d’emballage plastique à usage unique, et distribuent des centaines de millions de sacs, d’après une enquête des ONG Greenpeace et EIA (Environmental Investigation Agency) parue en novembre qui dénonce l’impact de la pollution plastique sur la biodiversité marine.
«Libérateur»
Faire ses courses sans plastique, «c’est si libérateur, ça veut dire qu’on peut oeuvrer un peu pour l’environnement», sourit May Stirling, le caddie plein, tout en avouant avoir été un peu dépitée de ne trouver que deux sortes de céréales dans l’espace en vrac.
Nombre de clients sont prêts à jouer le jeu et certains en réclament même davantage: réutilisation des bouteilles de lait, de shampoing… Dans le magasin, plusieurs centaines de notes de suggestions sont affichées sur un mur dédié.
Waitrose, qui avait lancé cet essai pour 11 semaines, a décidé de le prolonger et de l’initier dans trois autres magasins de cette chaîne qui en compte plus de 300.
Mais pour être pérenne, la formule doit être «commercialement viable», rappelle un porte-parole de l’enseigne, James Armstrong.
Alors que l’emballage plastique est l’un des moins coûteux, les clients sont-ils prêts à payer davantage pour un système d’emballage plus écologique?
Fran Scott, venue avec ses Tupperwares, hésite. «J’aimerais penser que oui, mais honnêtement je ne sais pas», admet cette consultante en marketing de 55 ans.
D’autres géants du secteur se positionnent. Signataires du «UK Plastic Pact», qui les engage à ne recourir qu’à de l’emballage réutilisable, recyclable ou biodégradable d’ici 2025, Tesco et Asda ont récemment annoncé cesser d’utiliser des sacs plastiques pour leurs livraisons d’achats en ligne; Morrisons a promis des zones sans plastique pour fruits et légumes dans 60 magasins en 2019.
«Faire pression»
Précurseur, l’un des magasins à Londres de la franchise Budgens se targue d’avoir réorganisé sa logistique en dix semaines dès novembre dernier pour éliminer l’emballage plastique de 1 800 de ses 14 000 produits.
«On a fait ça pour montrer aux autres gros supermarchés que ça n’était pas aussi difficile qu’ils le disent», explique à l’AFP son directeur, Andrew Thornton.
Le plastique ne disparaît toutefois pas totalement. Par exemple, le fromage est encore livré avec. Mais après l’avoir découpé en tranches, les employés utilisent désormais du film cellulose à base de canne à sucre pour le remballer.
À quelques mètres du stand de fromages, Richard Brady, 44 ans, achète une boîte de sushis. «J’ai du plastique dans les mains», rit-il, gêné. «C’est comme ça. Et ma femme a faim! C’est aux supermarchés de trancher, pas à nous, non?»
«Nous achetons des produits encore emballés de plastique car nous n’avons pas encore persuadé (tous nos fournisseurs) de changer» de méthode, explique Andrew Thornton, qui appelle les plus «grosses entreprises (…) à faire pression sur les gros fournisseurs».
Pour Mark Miodownik, professeur spécialiste des matériaux à l’université UCL, «il faudrait changer tout le fonctionnement du système». Le plastique est un «matériau formidable», notamment pour le matériel hospitalier, les tuyaux, etc. C’est aussi selon lui un emballage bienvenu s’il peut être correctement recyclé.
Mais le plastique est devenu problématique à partir des années 60 quand le marketing l’a érigé en «symbole de modernité», souligne M. Miodownik, incarnant un style de vie «pratique» dans une économie où étaient vantés les mérites du jetable, des couches aux serviettes en papier.
«Les bouteilles d’eau sont une sorte de folie (…), c’est devenu une routine d’en vendre, comme si c’était l’unique moyen de boire de la ‘vraie’ eau…», illustre l’expert.
Gaspillage alimentaire?
Des alternatives existent en fonction des aliments : papier, carton, bocaux en verre… Mais «le plastique présente des bénéfices, comme son imperméabilité à l’air et à la moisissure, qui peuvent prolonger la vie de produits», relève l’Agence des normes alimentaires (FSA).
«On ne peut pas laisser la solution de ce problème au bon vouloir de supermarchés bien intentionnés», fustige Sam Chetan Welsh, conseiller chez Greenpeace, qui appelle «le gouvernement à fixer des limites légales à la quantité de plastique fabriquée et utilisée».
Pour Barry Turner, directeur du Plastics and Flexible Packaging Group, qui représente les fabricants d’emballage plastique, la solution réside dans «l’amélioration des infrastructures de recyclage».
Car en réduisant trop l’emballage plastique, les supermarchés pourraient être confrontés à des «conséquences inattendues», comme «le gaspillage alimentaire», assure-t-il.
Pourtant, chez Budgens Belsize Park, pas de gaspillage constaté, selon son directeur qui persévère: le magasin comptait plus de 2 300 produits sans plastique cet été.