À table

Non, le vin biodynamique n’est pas meilleur que les autres

Joël Leblanc - Agence Science-Presse

Sur les tablettes, les vins dits « biodynamiques » ont la cote. Au Québec comme ailleurs, leur popularité est croissante, comme le montre le moteur de recherche du site de la SAQ : l’expression « vin biodynamique » génère 848 résultats en cette fin d’année 2022. Le Détecteur de rumeurs a cherché à comprendre.

Pour leurs adeptes, les vins biodynamiques sont tout simplement de meilleure qualité, donc meilleurs au goût, que leurs équivalents conventionnels. Mais qu’en dit la science ? Les vins biodynamiques sont-ils réellement meilleurs ?

Qu’est-ce que la biodynamie ?

« Plus bio que le bio ! », clament les producteurs. « De l’agriculture biologique, saupoudrée d’homéopathie, d’astrologie et d’un peu de magie », rétorquent les sceptiques. Il est vrai que l’agriculture biodynamique a de quoi faire sourciller, même les esprits les moins critiques.

Elle consiste notamment à n’appliquer sur les champs aucun produit de synthèse, ce qui l’apparente au bio. Mais à cela s’ajoute une liste de choses à faire ou ne pas faire, et les moments de l’année, ou de la journée, ou du mois lunaire, où il faut les faire ou ne pas les faire. Au point où la tâche des viticulteurs s’en trouve significativement augmentée.

Par exemple, une ou deux fois durant la saison de croissance, il faut pulvériser sur les plants, très tôt le matin, de l’eau « dynamisée » (une référence à l’homéopathie), c’est-à-dire contenant quelques grammes de silice par centaine de litres. Ou encore, mélanger à l’engrais une toute petite quantité de bouse de vache qui a séjourné dans une corne de vache, sous terre, pendant tout un hiver, pour la « charger » d’une énergie venue d’ailleurs (une référence à la magie). Certaines actions ne peuvent être accomplies que lorsque la Lune est ascendante, d’autres lorsqu’elle est descendante, ou encore lorsqu’elle passe devant certaines constellations zodiacales (une référence à l’astrologie). À cela s’ajoute le respect de certaines fêtes du calendrier chrétien.

Le tout a été proposé il y a près de 100 ans par Rudolf Steiner, un intellectuel autrichien sans formation en agronomie ni expertise en agriculture. En fait, Steiner est à la base de l’anthroposophie, un mouvement qualifié de sectaire par plusieurs observateurs, de même que par des gens qui en sont sortis, et qui ajoute une bonne couche d’ésotérisme et de magie sur le monde. En effet, selon les anthroposophes, il existe tout un monde immatériel que la science moderne ne peut ni détecter ni mesurer. Certains « clairvoyants » parviendraient à s’y connecter directement. Mais les gens n’ayant pas cette prédisposition pourraient quand même tirer quelques bribes d’énergie de ces dimensions mystiques en récitant plusieurs mantras et en accomplissant des rituels nombreux et variés.

 Et toutes les sphères de l’humanité peuvent être teintées d’anthroposophisme. Il existe ainsi une pédagogie anthroposophique (les écoles Steiner-Waldorf), une médecine anthroposophique (notamment opposée aux vaccins), des cosmétiques anthroposophiques (Weleda), des banques anthroposophiques (La Nef en France, GLS en Allemagne, Triodos aux Pays-Bas)… et l’agriculture anthroposophique, dont la viticulture. Toutes des déclinaisons d’un mouvement occultiste qui croit en l’existence de mondes supérieurs au nôtre et où les données scientifiques ne font pas le poids face aux intuitions… La « bouse de corne » par exemple est supposée avoir accumulé une certaine énergie céleste et pouvoir la retransmettre aux plants.

Bref : les bases de la viticulture biodynamique reposent seulement sur des idées, supposément d’inspiration mystique, ou bien carrément inventées. Mais la viticulture biodynamique pourrait-elle quand même être efficace ? Rudolf Steiner aurait-il pu voir juste ?

Des études

Deux études portant sur les vins biodynamiques, parues en août 2016 et en mai 2021, auraient confirmé leur supériorité sur les vins conventionnels, respectivement pour les vins californiens et français.

En explorant ces études, on réalise qu’elles ne sont pas le fruit de rigoureux protocoles de dégustation en double aveugle. Il s’agit plutôt de l’analyse des pointages donnés par de grands experts sommeliers dans des publications spécialisées : Wine Advocate (Robert Parker), Wine Enthusiast et Wine Spectator pour l’étude sur les vins californiens, et Gault & MillauGilbert & Gaillard et Bettane & Dessauve pour la France. En fait, les deux études n’ont pas été publiées dans des revues d’œnologie, mais dans des publications spécialisées en économie (Journal of Wine Economics et Ecological Economics).

Pour les vins californiens, les scores, sur 100, augmentent en moyenne de 4,1 points lorsque le vin est certifié (biologique ou biodynamique), alors que pour les vins français, l’augmentation est de 6,2 points pour les vins biologiques et de 11,8 points pour les vins biodynamiques. Les dégustations des maîtres ont été faites à l’aveugle, mais en sachant qu’un vin certifié se cachait parmi les vins traditionnels. Pour ces experts, il était facile de détecter, par ses différences de goût, le vin concerné et, en cas de préjugé favorable, de lui octroyer un pointage plus élevé.

Mais il existe de vraies études comparatives qui incluent des analyses biochimiques (pour comparer les molécules effectivement présentes dans le liquide) ainsi que des dégustations à l’aveugle faites selon un protocole rigoureux par plusieurs sommeliers experts (pour comparer la qualité et donc, le goût). Par exemple, une équipe italienne a comparé en 2020 des Sangiovese traditionnels à des Sangiovese issus de viticulture biodynamique. Les analyses biochimiques ont confirmé la différence de concentration pour plusieurs composés aromatiques, due surtout aux levures naturelles (car la fermentation du vin peut aussi être biodynamique, ce qui veut dire, dans ce cas, pas de levures ajoutées de la main de l’homme).

Donc, les vins biodynamiques sont différents des autres. Mais sont-ils meilleurs pour autant ? Pas selon les 15 sommeliers experts qui ont procédé à l’analyse gustative. S’ils ont bien détecté des différences de goût, ils ont jugé les deux vins de qualité égale.

Enfin, toutes les études rigoureuses arrivent au constat qu’aucun des trois types de viticulture (traditionnelle, biologique ou biodynamique) n’est supérieur aux autres pour ce qui est du goût et de la qualité du vin. Cependant, en termes de bénéfices environnementaux (biodiversité microbienne du sol, biodiversité des cultures…), les performances de la biodynamie sont les mêmes que celles du biologique, et supérieures à celles de la viticulture conventionnelle. Autrement dit, sous la loupe de la science, le biologique et le biodynamique sont indiscernables. Le biodynamique est plus écolo que le traditionnel, mais pas plus que le biologique.

Qu’est-ce qui le distingue, alors ? La charge de travail pour le produire est plus élevée que pour le conventionnel. Le label exige un entretien important des vignes à cause de l’absence de pesticides, en plus de l’ajout de toutes les tâches préconisées il y a 100 ans par Rudolf Steiner —mais sans que l’efficacité d’aucune n’ait été démontrée. Une surcharge de travail qui explique le prix plus élevé des bouteilles biodynamiques.

Verdict

Les vins biodynamiques n’ont pas meilleur goût que les autres. Ils sont plus écolos que les vins traditionnels, mais sans surpasser les vins biologiques.

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