J’ai déjà vécu une expérience désagréable, alors que je traversais à bicyclette le parc Jean-Drapeau. C’est pourtant ma portion préférée du trajet entre mon travail et la maison : les saules, les jardins de fleurs… et les petits suisses, des tas de petits suisses.
Au fil des ans, j’ai pu remarquer le comportement adopté par les suisses lorsqu’ils traversent un chemin : s’ils voient une voiture ou une bicyclette s’approcher, ils se figent sur place, puis ils retournent vers le côté du chemin d’où ils sont venus. Ils ont tendance à faire cela même lorsqu’ils ont traversé la plus grande partie du chemin et qu’il serait plus prudent de poursuivre leur route.
La rencontre fatale
Ce jour fatidique, un tamia traversait la route alors que je m’approchais. Il avait déjà parcouru 90 % du chemin lorsqu’il m’a remarqué. Les tamias étant ce qu’ils sont, je savais qu’il pouvait encore changer d’idée et retourner sur ses pas. Mais comme il était presque rendu à destination, j’ai supposé qu’il poursuivrait son chemin si je le mettais en sécurité en roulant du côté opposé de la route. «Reste où tu es, petit suisse, ai-je pensé. Je vais te laisser beaucoup de place.»
Hélas, son instinct l’a poussé à retourner vers la sécurité, et il a rebroussé chemin. C’est là, et à cet instant, que nos vies sinueuses se sont rencontrées, et malheureusement, un seul d’entre nous en est sorti indemne. J’ai dérapé légèrement lorsque ma roue est passée sur le pauvre petit suisse. Son corps s’est enroulé autour de ma roue et y est resté accroché jusqu’à ce qu’il frappe la fourche et retombe. Pendant un court moment, son corps sans vie a volé à mes côtés avant de s’écraser avec un bruit sourd, comme celui que fait le Coyote en tombant dans le canyon sous le regard de Road Runner. L’image de son petit corps, qui avait l’air d’un ballon plein d’eau pincé au milieu, me hante encore.
L’anxiété nous protège…la plupart du temps
L’anecdote du petit suisse illustre une compétition intéressante entre la partie émotionnelle et la partie rationnelle de notre cerveau. L’anxiété, produite par le cerveau émotionnel, nous protège habituellement en nous faisant fuir le danger et rechercher la sécurité d’un lieu familier. C’est ce qui a poussé le petit suisse à tenter de retourner d’où il venait.
Notre cortex cérébral, plus développé, qui apprend des choses et observe des modèles, nous dirait que prendre le chemin le plus court vers la sécurité constitue la meilleure option, dans ce cas particulier.
Malheureusement, en situation d’urgence, on n’a pas le temps de réfléchir, et ce sont nos émotions protectrices qui prennent le dessus. Elles sont très efficaces et nous sauvent dans la grande majorité des situations… mais certainement pas à tous les coups. Dans le cas de ce pauvre petit tamia, c’est précisément son instinct de protection qui l’a tué, ce jour-là.
Désolé, petit suisse, mais il aurait fallu que tu utilises une autre partie de ton cerveau!