Outremont

Se souvenir des vétérans canadiens juifs de la Seconde Guerre mondiale

Le lieutenant Sydney Shulemson.

1939-1945, la Seconde Guerre mondiale fait rage. Plus d’un million de Canadiens s’enrôlent alors dans l’armée afin de soutenir les Alliés dans la bataille contre l’Allemagne. Parmi eux, 17 000 juifs, qui ont combattu malgré le danger de la guerre et les dérives de l’antisémitisme.  Dans le cadre de la semaine des vétérans, Métro s’est penché sur l’histoire de ces soldats juifs, en rencontrant la journaliste et autrice du livre Double Threat : Canadian Jews, the Military, and World War II (Double menace : les Juifs, l’Armée et la Seconde Guerre mondiale), Ellin Bessner.

Il y a 10 ans, lors d’une journée pluvieuse, Ellin Bessner marchait dans un cimetière de Normandie, le département français dans lequel s’est déroulé le débarquement des Alliés en 1944. Elle découvre alors une tombe d’un soldat juif canadien de Toronto. En bas de l’étoile de David gravée sur le marbre était écrit : « Il est mort pour que les juifs ne souffrent plus. ».

Cette simple épitaphe a attiré l’attention de la journaliste, « je ressens toujours de l’émotion quand je vois ça, parce que ça explique pourquoi autant de juifs sont allés au combat pour sauver leur peuple ».

Ellin Besner décide de pousser ses recherches et découvre que sa propre famille comprend neuf anciens militaires juifs de la Seconde Guerre mondiale. Au fur et à mesure, elle constate que plusieurs familles de la communauté ont des vétérans, tellement qu’il y avait de quoi en faire un livre.

Pendant six ans, la journaliste part à la rencontre de 300 des 17 000 vétérans juifs, qui se sont engagés après avoir fait leur service militaire obligatoire, et recueille minutieusement leur témoignage.

Ellin Bessner lors du lancement de son livre – Gracieuseté

Une double menace

Chaque soldat engagé dans la guerre prend le risque de perdre sa vie. Mais dans les années 1940, pour les volontaires juifs, la menace était double.

Il y avait déjà le risque de se faire capturer par les nazis, et de connaître le sort réservé aux juifs. Comme le rappelle l’ancien vétéran de l’armée de l’air, William Novick, ils étaient au courant que les nazis voulaient faire disparaître les juifs d’Allemagne et des pays occupés, même si « nous n’avons été au courant pour les camps d’extermination que plus tard durant la guerre. ».

Beaucoup de volontaires ont caché leur judaïsme lors de leur entrée dans l’armée, en changeant de nom et en déclarant une autre religion.

Montréal est à cette époque l’une des villes qui regroupent une grande part de la communauté juive, qui vit majoritairement sur le Plateau et dans le Mile-End. Mais la ville était moins tolérante que maintenant. « Le Canada était fermé aux réfugiés juifs venus d’Europe, alors qu’ils cherchaient à fuir le régime d’Hitler. Au Québec, des leaders nationalistes comme Adrien Arcand ont posé la faute de la Grande Dépression sur les juifs, et ont incité les gens à ne pas acheter dans leurs magasins », explique Ellin Bessner. Elle ajoute que des programmes universitaires, comme celui de médecine à McGill, étaient fermés à la communauté, ou comprenaient des quotas. Certains employeurs refusaient également d’embaucher des juifs.

Cet antisémitisme suivait les soldats jusque dans leur propre régiment. Beaucoup de témoignages recueillis par Ellin Bessner évoquent les actes et paroles discriminatoires qui pouvaient avoir lieu, venant des autres vétérans ou des officiers.

Garder en mémoire

Malgré cette seconde menace, 40 % des personnes de la communauté juive — qui comptait à cette époque 168 000 membres — se sont portés volontaires. Plusieurs militaires ont reçu par la suite des médailles, et sont considérés aujourd’hui comme des héros de guerre.

Parmi les plus de 50 000 femmes canadiennes qui ont servi à l’armée pendant la Seconde Guerre mondiale, 270 étaient juives. Elles y ont occupé plusieurs postes, comme officière de la police militaire ou dans la base de l’armée de l’air, même si tous n’étaient pas accessibles aux femmes, et malgré le sexisme présent dans plusieurs branches de l’armée. L’une d’elles, Miriam Freedman, a été décorée pour sa bravoure pendant la guerre.

Pour Ellin Bessner, il est important de garder en mémoire l’histoire de ces militaires juifs, qui sortaient à peine de l’adolescence quand ils ont fait le choix d’abandonner le confort de leur foyer pour combattre les nazis. « Il est important que les jeunes aujourd’hui prennent position s’ils voient par exemple une croix gammée sur une école, ou quelqu’un critiquer une personne avec un hijab. […] C’est une bataille qui doit se maintenir au quotidien, et c’est ce que nos vétérans nous disent. Ce n’est pas seulement une histoire juive, mais une que tout le monde peut comprendre. »

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