Nommée récemment Fellow de l’Ordre des pharmaciens pour s’être illustrée de façon exceptionnelle par son travail en médecine familiale, Anne Maheu a fait un retour à la pratique après une longue carrière dans l’industrie pharmaceutique. Elle œuvre depuis cinq ans au GMF de Bordeaux-Cartierville du CIUSSS du Nord-de-l’île.
Que fait une pharmacienne dans une clinique de médecine familiale?
On fait beaucoup de «déprescriptions», nous enlevons des médicaments. C’est vraiment ironique. J’étais dans l’industrie pharmaceutique durant 25 ans pour créer des médicaments à donner aux malades, et là, je les retire. Mais en fait, j’ai toujours prôné l’utilisation optimale du principe bon médicament, bonne dose au bon patient, au bon moment.
Quand je suis revenu à la pratique, c’était incroyable de voir comment certains avaient des listes épouvantables de 15 ou 20 produits.
Est-ce que cela n’est pas justifié parfois?
Oui, souvent on a plusieurs problèmes de santé à régler. Certaines personnes vont prendre trois ou quatre médicaments parce qu’on va voir par exemple une coexistence entre hypertension, diabète, dyslipidémie [élévation du cholestérol – NDLR]. Il y a des patients qui ont de la douleur, alors on essaie de remplacer les opioïdes. Il peut y avoir aussi des problèmes de santé mentale associés. Ce n’est pas tout le monde qui répond à une médication de la même manière. Moi, en tant que pharmacienne, je vais travailler aussi sur toutes les mesures non pharmacologiques.
Il y a donc autre chose que les prescriptions pour soigner?
À la base, le médicament est un outil important. On sait qu’il sauve des vies. Il ne faut pas s’en priver. En revanche, changer nos habitudes de vie est primordial. Je travaille sur la nutrition, l’exercice et les saines habitudes de vie. Dans l’approche de la thérapie médicamenteuse, il y a aussi cet aspect.
Voyez-vous tous les malades en clinique de médecine familiale?
Les pharmaciens ne sont pas aussi nombreux que les médecins ou les infirmières dans un GMF. Je prends en charge les patients qui prennent beaucoup de médicaments, les gens vulnérables et fragiles, ainsi que les personnes en évaluation cognitive.
Je vais revoir la médication par problème de santé, quel est l’historique du patient, les cibles et s’il faut être plus ou moins agressif pour les atteindre. Pour les patients âgés, on va réduire la thérapie.
Au départ traitée plus agressivement le diabète ou l’hypertension par exemple, ce qui est parfait, arrivée à 80 ou 85 ans, la personne mange moins et a perdu du poids. Elle a trop de médicaments. Alors on fait le ménage. On diminue aussi les doses pour prévenir les chutes.
Associer d’aussi près les pharmaciens à la thérapie, est-ce un changement de culture en médecine?
Comme nous sommes dans un GMF Universitaire, on fait aussi de l’enseignement pour des médecins. Très tôt, on leur apprend l’optimisation de la thérapie.
Les étudiants voient leurs patients et reviennent discuter avec le médecin et le pharmacien. Cette collaboration leur permet d’être exposés à des points de vue différents. Face à un problème de santé, le médecin cherche des causes, le pharmacien regarde la chronologie pour explorer toutes les facettes. Est-ce que c’est une nouvelle pathologie, un effet secondaire d’un médicament ou une cascade médicamenteuse [traiter un effet secondaire avec un autre médicament – NDLR]?
Est-ce que la pandémie a perturbé votre façon de faire?
Nous ne voyons plus les patients en personne. Avant, on les rencontrait au moins une fois, ensuite on leur parlait au téléphone. Maintenant, on fait tout au téléphone. On explore la possibilité d’utiliser Zoom et Teams pour faire de la visioconférence. Pour les personnes âgées, et j’en ai beaucoup, c’est moins évident. Ils sont moins technologiques. Ils aiment beaucoup le téléphone. On continue à faire de l’enseignement aussi.
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