Montréal-Nord

« À deux pas de la liberté » : la population carcérale sous un autre jour

Une série met à l’honneur le quotidien d’anciens détenus résidant à la maison de transition Saint-Laurent à Montréal-Nord. Les réalisateurs ont souhaité montrer une nouvelle facette de ces personnes, qui tentent désormais de mener une vie nouvelle.

«Nous trouvions intéressant de nous focaliser sur  le processus de réinsertion, explique Martin Paquette, qui co-réalise À deux pas de la liberté en compagnie d’Erika Reyburn. Nous avons voulu montrer un autre visage de la population carcérale, qui souffre encore d’une mauvaise réputation et de beaucoup de préjugés.»

Produit par Urbania, le tournage de la série-documentaire aura duré près de six mois, à raison de trois ou quatre jours par semaines. Une expérience immersive pour les metteurs en scène et leur équipe.

«On finit par s’attacher à ces gars-là et à leur histoire, c’est sûr, détaille Martin Paquette. Parfois on y retournait sans filmer, juste pour parler avec les résidents.»

Parmi ces anciens détenus et protagonistes de la série, Gilles, fils de la célèbre braqueuse Monica La Mitraille, décédée sous les balles de la police sur la rue St-Vital à Montréal-Nord, le lieu qui accueille la maison de transition Saint-Laurent.

«C’est un hasard, nous ne savions pas que son fils faisait partie des résidents, explique le coréalisateur. C’est une drôle de coïncidence, car ma grand-mère était voisine avec celle de Gilles. Monica La Mitraille fait partie de l’univers de ma famille.»

Pour l’ex-détenu,  la présence  de personne s’intéressant à son quotidien fut une aubaine.

«J’ai toujours été au contact de gardiens, de surveillants, ou d’autres criminels et détenus, raconte Gilles. Pour la première fois, j’ai pu parler de mon expérience à des gens hors du système carcéral.»

François Bérard, directeur général de la corporation Maisons de transition de Montréal, qui gère la Maison Saint-Laurent, a lui aussi reçu favorablement l’idée d’accueillir une équipe de tournage au sein de l’établissement.

«Nous avons trouvé la proposition d’Urbania intéressante, reconnait-t-il. Lorsqu’on parle du milieu carcéral, on fait souvent des reportages sur les détenus et leur vie en prison, mais on parle très peu de l’après,  de la réinsertion. Les maisons de transition restent globalement méconnues.»

Retranscrire la réalité avec fidélité
Pour ne pas biaiser la sincérité des propos, les réalisateurs ont choisi de tourner avec une caméra de petite taille pour tenter de se faire oublier.

«Notre souhait était réellement de laisser parler les gens et d’être le moins intrusif possible, raconte M. Paquette. Je pense que personne ne s’est censuré,  car nous avons constaté que les gars nous disaient la même chose en off que face caméra.»

Pour habituer personnel et résident à leur présence, les réalisateurs sont venus à leur rencontre plusieurs mois avant le tournage.

«C’est une très bonne idée qu’ont eue Erika et Martin, car cela a permis de gagner la confiance des gens qui vivent ici quotidiennement, souligne François Bérard. Ce premier contact a probablement aidé à délier plus facilement les langues.»

Les détenus ne restant généralement que trois à six semaines au sein d’une maison de transition, les réalisateurs n’avaient toutefois pas eu de contact avec la majorité d’entre eux.

«J’ai rencontré Félix, le protagoniste du premier épisode, devant l’établissement quelques minutes avant de tourner, détaille Martin Paquette. Il nous a rapidement donné son accord pour que l’on puisse le filmer. Globalement, les gens étaient tous très ouverts à parler.»

La réinsertion sociale des détenus en question
Pour Gilles, cette série documentaire est l’occasion de remettre en question le système carcéral tel qu’il existe actuellement.

«C’est un système archaïque, qui n’a jamais démontré qu’il fonctionnait jusqu’à présent, déplore l’ex-détenu. On se contente de parquer les gens sans qu’ils puissent suivre des formations professionnelles et envisager un avenir après une incarcération. Au sortir de la prison, tu n’as rien, et  cela incite à la récidive.»

S’il «ne banalise rien» et estime être très conscient d’avoir «mérité» sa soixantaine de condamnations, l’ancien détenu estime en outre que les gens portent encore un regard très sévère sur les détenus. Issu d’une famille au lourd passif criminel, celui-ci a grandit seul, son père étant emprisonné jusqu’à l’âge de ses 8 ans et sa mère étant décédée alors qu’il n’avait que dix-huit mois.

«J’ai reproduis les mêmes schémas que mes parents, et encore aujourd’hui, je ne sais pas comment l’expliquer, souligne Gilles. Pendant longtemps j’ai cru que ce n’était pas génétique, mais force est de constater que ça l’est peut être.»

«Je resterai toujours un criminel aux yeux des gens» – Gilles, ancien détenu

Avec À deux pas de la liberté, Erika Reyburn et Martin Paquette veulent lutter contre ces préjugés qui collent à la peau de la population carcérale.

«Nous souhaitons combattre les préjugés et  donner des éléments de compréhension, soutient le coréalisateur. Il est facile d’aller à l’évidence et de dire que tous les détenus sont des méchants. On espère que les gens regarderont l’émission avec humanité.»

Aujourd’hui, Gilles s’est trouvé un emploi dans la construction et s’est attelé à la rédaction d’un livre autobiographique qu’il publiera courant septembre. Gilles veut désormais se reconstruire et profiter de ses trois enfants, âgés respectivement de 13, 16 et 23 ans.

«C’est surtout pour eux qu’à un moment, tu te dis qu’il faut arrêter, explique l’homme de 52 ans. Je ne veux pas léguer cet héritage à mes enfants, comme mes parents l’ont fait pour moi.»

À deux pas de la liberté est une série de treize épisodes, diffusée sur la chaîne Unis. Le premier épisode ce soir à 21 heures.

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