Un diplomate américain en poste à Kiev a livré mardi devant le Congrès un témoignage accablant dans l’affaire ukrainienne, plaçant Donald Trump, qui est sous la menace d’une procédure de destitution, dans une situation particulièrement délicate.
Lors d’une déclaration à huis-clos, dont le contenu a rapidement fuité, Bill Taylor, chargé d’affaires américain en Ukraine, a renforcé les soupçons pesant contre le locataire de la Maison-Blanche.
Récit minutieux à l’appui, il a donné corps à l’hypothèse selon laquelle Donald Trump a utilisé la politique étrangère américaine à des fins politiques personnelles.
Concrètement, il a relaté comment le président de la première puissance mondiale avait essayé de faire pression sur l’Ukraine, chantage économique à l’appui, pour que ce pays enquête sur la famille de son rival démocrate Joe Biden à l’approche de l’élection de 2020.
Le président américain avait-il senti venir cette déposition à haut-risque? Quelques heures avant qu’elle ne démarre, il avait allumé un contre-feu et provoqué une vive polémique en comparant la procédure le visant à un «lynchage», mot lourd de sens aux États-Unis, où il est associé aux meurtres de Noirs par des Blancs aux XIXe et XXe siècles, essentiellement dans le Sud.
Devant la Chambre des représentants, M. Taylor, diplomate de carrière, a relaté que Gordon Sondland, ambassadeur américain auprès de l’Union européenne (UE), lui avait clairement indiqué que M. Trump avait lié le déblocage d’une aide à l’Ukraine à l’annonce par Kiev d’une enquête visant le fils de M. Biden, qui fut au conseil d’administration d’une entreprise ukrainienne.
M. Sondland «m’a dit (..) que tout était lié à une telle annonce, y compris l’aide», a-t-il raconté dans une longue déclaration de 15 pages qui a été publiée dans son intégralité par le Washington Post.
«L’ambassadeur Sondland a dit qu’il avait parlé au président ukrainien Volodymyr Zelensky (…) et lui avait dit que ”même si ce n’est pas une contrepartie“, s’il “n’éclaircissait pas les choses” en public, nous serions dans une impasse», a-t-il raconté devant les élus.
«J’ai compris “impasse” comme voulant dire que l’Ukraine ne recevrait pas l’assistance militaire dont elle avait cruellement besoin», a-t-il ajouté.
La diplomate a aussi souligné comment M. Sondland avait essayé de lui expliquer la logique «d’homme d’affaires» de Donald Trump. «Lorsqu’un homme d’affaires est sur le point de signer un chèque à quelqu’un qui lui doit quelque chose, l’homme d’affaires demande à cette personne de payer avant qu’il ne signe le chèque».
Nombre d’élus démocrates ayant assisté à l’audition ont insisté sur la force de cette déposition.
«Ce que j’ai entendu aujourd’hui de la part de Bill Taylor était très troublant et explosif», a tweeté Adriano Espaillat. «C’était tout simplement le témoignage le plus accablant que j’ai entendu», a surenchéri l’élue Debbie Wasserman Schultz.
«Tout y est», a ajouté Tom Malinowski. «Je ne sais pas quoi ajouter face à une déclaration aussi claire et détaillée».
Dans un message daté de début septembre adressé à M. Sondland, M. Taylor s’inquiétait ouvertement des pressions exercées par la Maison-Blanche sur la présidence ukrainienne. Je «trouve ça dingue de suspendre l’aide sécuritaire en échange d’un coup de main pour une campagne politique», écrivait-il.
Donald Trump, qui a toujours contesté la moindre irrégularité dans cette affaire, n’avait pas réagi à ce témoignage mardi en fin d’après-midi.
Mardi matin, il s’était plus que jamais posé en victime.
«Un jour, si un démocrate devient président et que les républicains remportent la Chambre des représentants, même avec une toute petite marge, ils peuvent lancer une procédure de mise en accusation du président, même sans respect des procédures, sans équité ou sans droits», avait tweeté le milliardaire républicain.
«Lynchage»
«Tous les républicains doivent se souvenir de ce à quoi ils assistent ici: un lynchage».
Le tweet matinal a suscité de très vives réactions dans la capitale fédérale américaine, pourtant habituée aux déclarations volontairement provocatrices de l’ancien homme d’affaires de New York.
Fait remarquable, Mitch McConnell, chef de la majorité républicaine au Sénat, qui se tient le plus souvent à l’écart de toute critique du président, a exprimé son désaccord. «Compte tenu de l’histoire de notre pays, je ne comparerais pas cela à un lynchage», a-t-il déclaré, déplorant un choix de mots «regrettable».
«C’est un mot qu’aucun président ne devrait utiliser pour lui-même», a réagi le démocrate James Clyburn sur CNN. «Je viens du Sud. Je connais l’histoire de ce mot. C’est un mot qu’il faut utiliser avec beaucoup, beaucoup de prudence», a ajouté l’élu afro-américain.
«Un lynchage? 4743 personnes ont été lynchées aux États-Unis entre 1882 et 1968, parmi lesquels 3446 Afro-Américains», a réagi Kristen Clarke, présidente d’une association de défense des droits civiques. Et de souligner que les lynchages furent un chapitre «répugnant» de l’histoire américaine.
«Le président n’est pas une victime (…) Établir un parallèle entre la situation difficile dans laquelle il se trouve et un lynchage est grotesque», a réagi Jeb Bush, frère et fils d’anciens présidents républicains, et candidat à la primaire républicaine en 2016.
La Maison-Blanche a défendu l’utilisation de ce mot en assurant que le président ne faisait pas de référence historique. «Le président n’essayait pas du tout de se comparer à l’histoire terrible de ce pays», a déclaré Hogan Gidley, porte-parole de l’exécutif.