La campagne pour les élections législatives du 12 décembre au Royaume-Uni, centrées sur le Brexit, attise des divisions profondes en Irlande du Nord, enracinées dans un passé sanglant, au risque de fragiliser deux décennies de réconciliation.
«Cette élection est différente du scrutin précédent pour (le Parlement de) Westminster en Irlande du Nord», explique à l’AFP Elodie Fabre, maître de conférences en science politique à la Queen’s University de Belfast.
«On a vu des partis former ce qu’on appelle un ‘pacte anti-Brexit’», ce qui «tend à renforcer les divisions communautaires dans certaines circonscriptions», précise-t-elle.
Division de longue date
L’électorat nord-irlandais est divisé de longue date: il n’a pas attendu que le référendum de 2016 sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne ne déchire le pays entre partisans du maintien et défenseurs d’un retrait du giron européen.
Historiquement, les loyalistes unionistes (protestants) défendent le maintien dans la Couronne britannique tandis que les républicains nationalistes (catholiques) veulent la réunification avec la république d’Irlande limitrophe.
Les deux camps se sont opposés durant trois décennies d’affrontements sanglants, appelés «les Troubles», qui ont fait 3500 morts. L’accord de paix du Vendredi Saint y a mis un terme en 1998, instaurant un partage du pouvoir exécutif et une frontière ouverte avec l’Irlande.
Sur cette ligne de démarcation se sont greffées les divisions du Brexit, d’autant que la crainte d’un rétablissement de la frontière entre les deux Irlandes a placé la province britannique en première ligne de la crise.
L’équilibre fragile des deux dernières décennies est encore mis à rude épreuve par les législatives anticipées, qui se traduisent sur le terrain par une campagne clivante, d’où sont évacuées les voix plus modérées.
Dans le nord de Belfast, la capitale, le retrait de partis modérés de la course à la suite de la conclusion de pactes électoraux limite le choix à deux partis: les unionistes du Democratic Unionist Party (DUP), pro-Brexit, et les républicains du Sinn Fein, pro-UE.
Les nationalistes modérés du SDLP, qui se sont retirés dans cette circonscription, ont été très clairs. «Notre première priorité est d’élire des députés favorables au maintien (dans l’UE) pour voter contre le Brexit et Boris Johnson», ont-ils expliqué sur Twitter.
56% pour le maintien dans l’UE
Selon Elodie Fabre, cette «alliance nationaliste avec le Sinn Fein est très problématique pour les unionistes» dans cette circonscription. Et plus généralement, ces pactes électoraux ravivent les divisions anciennes en Irlande du Nord.
Au référendum de 2016 sur le Brexit, l’Irlande du Nord a voté à près de 56% pour le maintien dans l’UE, alors que le Royaume-Uni s’est prononcé à 52% pour le Brexit. Des résultats qui ont poussé des républicains irlandais à demander un référendum d’ici cinq ans sur une réunification de la province britannique et de la République d’Irlande, membre de l’UE.
«Les jours de la séparation sont comptés, le changement est dans l’air, le Brexit a tout changé», a affirmé la présidente du Sinn Fein, Mary Lou McDonald, au congrès du parti, critiquant les «architectes et défenseurs du Brexit» du DUP.
Présentant son programme jeudi, le DUP a réaffirmé sa position pro-Brexit mais réaffirmé son opposition à l’accord conclu par Boris Johnson avec Bruxelles, qui maintient certaines normes de l’UE en Irlande du Nord.
Pour autant, une plus jeune génération se dit prête à définitivement reléguer les Troubles aux oubliettes et à ne pas les relier aux enjeux politiques actuels.
«Nous sommes les enfants du processus de paix», explique Doire Finn, co-fondatrice de la branche nord-irlandaise du groupe de jeunes contre le Brexit «Our Future Our Choice» (Notre Avenir Notre Choix).
«Nombre de responsables politiques appartenant à une génération plus ancienne s’accrochent toujours à ce qui est arrivé dans le passé et il faut respecter cela», poursuit-elle. «Mais nous espérons tous vraiment maintenant qu’une nouvelle génération politique arrive qui comprenne et valorise les jeunes».
Son groupe encourage le vote tactique: il s’agit de voter pour le candidat qui permettra d’augmenter les chances de faire élire un député pro-UE, quelle que soit sa position sur la réunification irlandaise.
«On nous a accusés d’être un front pan-nationaliste», regrette le confondateur Aron Hughes qui, à 18 ans, se prépare à voter pour la première fois à des élections générales.