Le président turc Recep Tayyip Erdogan a menacé samedi l’Europe d’une nouvelle vague migratoire, cherchant ainsi à obtenir un soutien occidental contre la Syrie auquel il a promis de «faire payer le prix» de ses attaques contre les militaires turcs.
A la frontière entre la Turquie et la Grèce où plusieurs milliers de personnes voulant se rendre dans l’Union européenne ont afflué, la situation était tendue, avec des échauffourées entre policiers grecs tirant des grenades lacrymogènes et migrants jetant des pierres.
Des milliers de personnes, dont des femmes et des enfants, étaient bloquées près du poste-frontière de Pazarkule (Kastanies, côté grec), se regroupant autour de braseros de fortune en espérant qu’Athènes les laisserait passer, selon des correspondants de l’AFP.
En dépit des vents violents, d’autres migrants ont choisi de gagner la Grèce par les îles en mer Egée, où 180 personnes sont parvenues entre vendredi et samedi matin.
Samedi, un canot pneumatique transportant des Gambiens et des Congolais s’est échoué sur le rivage rocheux à Lesbos. Secoués par la traversée et récitant des prières, les 27 rescapés, dont une femme enceinte, ont été recueillis par des bénévoles, selon l’AFP.
«Nous n’allons pas fermer les portes», a déclaré samedi M. Erdogan, affirmant que 18 000 migrants avaient déjà franchi celles-ci pour aller vers l’UE depuis vendredi, un chiffre qui semble surévalué par rapport à ce que les journalistes de l’AFP ont vu.
Souvenir de 2015
Face à ces scènes qui réveillent le souvenir des centaines de milliers de personnes qui sont arrivées en Europe par la Turquie en 2015, la Grèce et la Bulgarie ont bouclé leur frontière.
Athènes, qui a multiplié les patrouilles frontalières, a déclaré samedi avoir empêché 4 000 migrants d’entrer «illégalement» sur le territoire grec.
«Une situation comme celle de 2015 ne doit en aucun cas se répéter», a lancé samedi le chancelier autrichien Sebastian Kurz.
La Turquie, qui a conclu en 2016 avec Bruxelles un pacte visant à réduire le passage des migrants, en particulier vers la Grèce, a ouvert ses frontières vendredi pour faire pression sur l’UE afin d’obtenir davantage de soutien en Syrie.
Jeudi, Ankara y a essuyé de lourdes pertes, avec 33 militaires tués dans des frappes aériennes attribuées au régime de Bachar al-Assad, soutenu par Moscou, dans la province d’Idleb. Un autre soldat turc a été tué vendredi.
La Turquie a riposté par des bombardements d’artillerie et de drones, tuant au moins 48 soldats syriens et 14 combattants du Hezbollah, un allié de Damas, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
«Nous aurions préféré ne pas en arriver là. Mais puisqu’ils nous y ont poussés, alors ils vont en payer le prix», a averti M. Erdogan.
«Hors du chemin»
Sur fond de rapide dégradation des relations entre Ankara et Moscou à cause de la crise d’Idleb, le président turc a durci le ton envers le président russe Vladimir Poutine, avec lequel il s’est pourtant efforcé de cultiver une étroite relation personnelle depuis 2016.
Dans un entretien téléphonique vendredi, «j’ai dit à M. Poutine : «Ôtez-vous de notre chemin. Laissez-nous seuls à seuls avec le régime», a affirmé M. Erdogan.
Selon le Kremlin, les deux chefs d’Etat pourraient se rencontrer à Moscou la semaine prochaine.
Dans ce contexte de tensions, quelque 200 manifestants ont scandé samedi «Poutine, assassin !» près du consulat russe à Istanbul, placé sous haute protection policière.
Ces dernières semaines, M. Erdogan a plusieurs fois sommé les troupes syriennes de se retirer de certaines zones à Idleb d’ici à la fin février, menaçant sinon de les y contraindre par la force. En théorie, ce délai arrive à expiration samedi à minuit.
Le régime de Damas, appuyé par la Russie, mène depuis décembre une offensive pour reprendre la province d’Idleb, l’ultime bastion rebelle et jihadiste, et a mis les bouchées doubles ces dernières semaines.
Les combats, notamment les bombardements, y ont provoqué une catastrophe humanitaire en Syrie, obligeant près d’un million de personnes à se déplacer. Le conflit en Syrie a fait plus de 380 000 morts depuis 2011.
«Pas le choix»
La situation dans la province d’Idleb, au nord-ouest de la Syrie, suscite la vive préoccupation de la communauté internationale, qui a multiplié vendredi les appels à la fin des hostilités.
Mais au-delà d’une solidarité verbale, Ankara réclame désormais une aide concrète.
«Nous ne pourrons pas faire face à une nouvelle vague de réfugiés» en provenance d’Idleb, a prévenu samedi M. Erdogan, accusant l’UE de ne pas avoir fourni toute l’aide financière promise pour accueillir les migrants.
Alors qu’Ankara est accusé d’instrumentaliser ceux-ci, le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu a vivement critiqué les mesures prises par la Grèce à la frontière.
«Ils tirent des grenades lacrymogènes sur les milliers de personnes qui attendent à leur porte, une honte (…) La Grèce a le devoir de traiter ces gens comme des êtres humains», a-t-il dit sur Twitter.
A la frontière grecque, où les nuages de gaz lacrymogène se mêlaient à la fumée âcre des feux de camp, les migrants attendaient l’occasion de passer.
«J’attendrai, je ne partirai pas», a assuré à l’AFP Jino Ibrahimi, une Iranienne. «J’attendrai que la frontière s’ouvre, car je n’ai pas d’autre choix».
Si la frontière reste fermée, «alors nous essaierons de passer clandestinement», a ajouté Ahmad Barhoum, un Syrien. «Hors de question de retourner à Istanbul».