Le président turc Recep Tayyip Erdogan a affirmé mercredi qu’une résolution de la crise migratoire passait par un soutien européen à Ankara en Syrie. Dans le même temps, de nouveaux heurts ont éclaté entre réfugiés et policiers à la frontière grecque.
Selon les autorités turques, un migrant a été tué et cinq ont été blessés par des «tirs à balles réelles» des forces grecques alors qu’ils tentaient de franchir la frontière. Athènes a «catégoriquement démenti».
Des dizaines de milliers de personnes ont afflué vers la Grèce depuis que M. Erdogan a ordonné vendredi l’ouverture des frontières de son pays, réveillant en Europe la peur d’une crise migratoire similaire à celle de 2015.
Face à ce nouvel afflux, plusieurs dirigeants européens ont dénoncé un «chantage» d’Ankara qui, aux termes d’un accord conclu avec Bruxelles en 2016, s’était engagé à lutter contre les passages illégaux en échange notamment d’une aide financière.
«Si les pays européens veulent régler le problème, alors ils doivent apporter leur soutien aux solutions politiques et humanitaires turques en Syrie», a cependant déclaré mercredi M. Erdogan lors d’un discours à Ankara.
À l’issue d’une visite de deux jours dans la capitale turque, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a annoncé le déblocage d’une aide d’urgence de 170 millions d’euros «pour les plus vulnérables en Syrie».
Sur le terrain, de nouvelles échauffourées ont éclaté au poste-frontière de Pazarkule (Kastanies, côté grec). Des migrants ont lancé des pierres en direction des forces de sécurité grecques qui ont riposté en faisant usage de gaz lacrymogènes.
1720 migrants arrivés, la crise migratoire plane
Le gouvernorat d’Edirne (nord-ouest de la Turquie) a affirmé dans un communiqué que six migrants qui tentaient de traverser à Pazarkule avaient été blessés par des tirs grecs. L’un d’eux a succombé à ses blessures à la poitrine, selon cette source.
«Ils tirent avec des armes. Ceux qui vont là-bas (près de la frontière) se font immédiatement tirer dessus. Ils lancent aussi des grenades lacrymogènes», a déclaré à l’AFP un réfugié syrien, Mustafa.
Un photographe de l’AFP a vu un migrant blessé à la jambe par des tirs en provenance du côté grec. Un autre reporter de l’AFP a vu deux migrants dans un hôpital turc non loin, dont l’un présentait une plaie au tibia saignant abondamment.
Des tirs en l’air dont l’origine ne pouvait être déterminée, des cris, des sirènes de police pouvaient être entendus. De la fumée se dégageait d’un gros feu.
Athènes, qui accuse Ankara de propager de «fausses informations», a affirmé que des policiers turcs avaient tiré des grenades lacrymogènes contre les policiers grecs à Pazarkule.
Depuis l’ouverture des frontières par Ankara, quelque 1720 migrants ont rejoint les îles de la mer Égée, selon Athènes, s’ajoutant aux 38 000 exilés déjà présents sur ces territoires grecs.
Sur fond de crise migratoire, dans son discours mercredi, M. Erdogan a accusé les Européens de «piétiner» les droits humains en «battant, coulant les embarcations et même en tirant» sur les migrants qui cherchent à se rendre en Europe.
Alarmée par l’afflux de migrants qui fait planer l’ombre d’une nouvelle crise migratoire, l’Union européenne a dépêché, outre M. Borrell, le président du Conseil européen Charles Michel qui a été reçu mercredi par M. Erdogan.
La Turquie cherche un appui en Syrie
La veille, plusieurs hauts responsables européens s’étaient rendus en Grèce pour exprimer leur soutien et promettre «toute l’aide nécessaire» à Athènes.
«Ceux qui cherchent à tester l’unité de l’Europe seront déçus», avait mis en garde la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
La décision prise par Ankara d’ouvrir ses frontières intervient au moment où la Turquie cherche à obtenir un appui occidental en Syrie, où elle mène une offensive et où elle est confrontée à un afflux de déplacés.
L’offensive que mène depuis décembre le régime à Idleb, dernier bastion rebelle et jihadiste dans le nord-ouest de la Syrie, a en effet provoqué une catastrophe humanitaire, avec près d’un million de personnes déplacées vers la frontière turque.
Ankara, qui accueille déjà 3,6 millions de Syriens sur son sol, réclame depuis plusieurs mois la création d’une «zone de sécurité» dans le nord de la Syrie pour y installer les personnes déplacées.
Après plusieurs semaines d’escalade des tensions dans cette région, Ankara a déclenché la semaine dernière une offensive contre le régime.
Le ministère turc de la Défense a annoncé mercredi la mort de deux nouveaux soldats dans des tirs du régime, portant à près de 40 les pertes depuis la semaine dernière à Idleb.
La Turquie, qui a abattu mardi un avion du régime, le troisième depuis dimanche, a multiplié ces derniers jours les frappes de drones. Neuf combattants pro-régime ont été tués mercredi dans une attaque de drone, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme, une ONG.
Ces affrontements se produisent à la veille d’une rencontre cruciale à Moscou entre M. Erdogan et le président russe Vladimir Poutine, dont le pays appuie militairement le régime de Bachar al-Assad.
Le président turc a indiqué mercredi qu’il espérait arracher «un cessez-le-feu le plus rapidement possible» lors de ce sommet.
Le conflit en Syrie a fait plus de 380 000 morts depuis 2011.