La prochaine voix du Réseau express métropolitain (REM) qui annoncera les stations et les messages spéciaux sera féminine. Or, selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), ce genre de décision renforce le stéréotype sexiste que les femmes sont «dociles et serviables».
Jusqu’au 30 août, le REM invite ses futurs usagers à voter pour l’une des trois voix choisies. Toutes sont féminines.
L’équipe du REM défend ce choix en indiquant avoir sondé un groupe de citoyens à l’automne dernier. Le public préférait des voix claires, dynamiques et familières, affirme la conseillère en communications et relations médias, Emmanuelle Rouillard-Moreau.
«Après analyses et validation des critères, les experts ont établi que les voix de femmes émettent des plus hautes fréquences que celles des hommes et présentent des plus grands niveaux d’audibilité; elles sont donc souvent privilégiées dans l’espace public», écrit-elle par courriel.
Stéréotypes sexistes
Selon un rapport publié en 2019, l’UNESCO souligne que les systèmes vocaux qui s’expriment d’une voix féminine tendent à renforcer les stéréotypes sexistes.
Intitulé I’d blush if I could, ce rapport révèle à quel point les préjugés et les stéréotypes de genre étaient intégrés, dès la conception, dans les applications des assistants vocaux fonctionnant grâce à l’intelligence artificielle.
Comme l’équipe du REM, les entreprises comme Amazon et Apple ont cité des travaux de recherche démontrant que les gens préfèrent une voix féminine à une voix masculine, indique l’UNESCO dans sa publication.
Cependant, l’organisation cite d’autres travaux qui concluent plutôt que «les gens aiment entendre une voix masculine quand elle donne des ordres, et une voix féminine quand elle est là pour aider».
Pour les auteurs du rapport, cela a des conséquences néfastes puisque «le fait que la voix des assistants vocaux soit féminine envoie comme signal que les femmes sont serviables et dociles».
Dans une entrevue menée en mai dernier, le principal auteur de la publication, Mark West, affirme que, depuis la sortie du rapport, il remarque que les voix masculines et féminines sont utilisées à la fois pour les ordres et pour les offres d’aide.
Une recommandation internationale sur l’éthique de l’intelligence artificielle sera votée par les États membres de l’UNESCO en novembre prochain, avec une grande partie dédiée à l’égalité des genres.
«Des clichés qui ont la couenne dure»
Professeure de l’Institut de Recherches et d’Études féministes (IREF) Martine Delvaux est d’accord avec l’analyse de l’UNESCO.
«Ce sont des clichés qui ont la couenne dure. On dirait que pour assurer la docilité des usagers, on doit avoir recours à une voix plus haute et considérée plus douce. Est-ce qu’on associe ce qui donne l’impression d’être une voix de femme à la musicalité, à l’inoffensif, donc à l’ornemental plutôt qu’à l’efficace ou au puissant?», souligne-t-elle.
Par ailleurs, Mme Delvaux rappelle que toutes les voix masculines ne sont pas basses, et toutes les voix féminines ne sont pas hautes. «Il s’agit donc bien d’un rapport à la voix qui relève d’une stéréotypie genrée. Comme si on voulait que les usagers et usagères pensent à un visage de femme, qu’ils et elles voient une femme en entendant la voix», ajoute-t-elle.
La professeure se questionne sur la possibilité d’alterner ou de démultiplier les timbres de voix sur le réseau. «Pourquoi ça doit toujours être la même voix et toujours une voix féminine? Puisqu’il s’agit d’un enregistrement…»