Société

Les jeunes enfants victimes d’agression sexuelle n’ont pas de voix dans l’espace public

Rachel Langevin et Martine Hébert - La Conversation

Véritables phénomènes sociologiques dont la totalité des impacts ne sont toujours pas connus, les dénonciations dans le cadre des mouvements sociaux #MeToo et Dis Son Nom ont eu des conséquences sur l’élaboration de politiques publiques, grâce à un consensus social et politique. De grands efforts sont faits pour la création d’un tribunal spécialisé pour les victimes au Québec. Toutefois, la structure de ces phénomènes sociaux récents fait que les enfants survivant.e.s n’y trouvent pas l’accompagnement dont ils ont besoin.


Par Rachel Langevin, McGill University et Martine Hébert, Université du Québec à Montréal (UQAM)

ANALYSE – Depuis 2017, de nombreuses personnes victimes de violences à caractère sexuel ont pris la parole publiquement dans le cadre de mouvements sur les réseaux sociaux comme #MeToo et Dis Son Nom.

Ces mouvements ont permis de libérer la parole des survivant·e·s et d’attirer l’attention sur ce phénomène hautement prévalent, mais la plupart du temps tenu dans l’ombre.

Bien que nous ne puissions qu’applaudir de telles prises de parole et les changements positifs qu’elles ont suscités dans divers milieux — dont les sphères du sport, de la culture et de l’éducation postsecondaire — ces prises de parole excluent une proportion non négligeable des victimes de violences sexuelles, c’est-à-dire les enfants.

Malgré leur grande vulnérabilité, les enfants victimes d’agression sexuelle, particulièrement ceux et celles d’âge préscolaire, sont également peu représenté·e·s dans les travaux de recherche visant à documenter les conséquences d’un tel trauma. C’est que la majorité des études ont exploré les conséquences à l’âge adulte.

Professeure à l’Université McGill, j’étudie depuis une douzaine d’années le développement socioaffectif des enfants d’âge préscolaire victimes d’agression sexuelle. Ma co-autrice et ancienne directrice de thèse, Martine Hébert, professeure à l’UQAM et détentrice de la Chaire de recherche du Canada sur les traumas interpersonnels et la résilience, documente les conséquences associées à l’agression sexuelle chez les enfants et les adolescents depuis une trentaine d’années.

Une victime sur cinq ne dévoile jamais l’agression

Une étude québécoise publiée en 2009 révélait que 22,1 % des femmes et 9,7 % des hommes auraient vécu une agression sexuelle sous forme de viol ou d’attouchements non désirés avant l’âge de 18 ans. De plus, 16,3 % des victimes d’attouchements avaient moins de six ans au moment de leur première agression et 45,5 % étaient d’âge scolaire.

Ces petites victimes n’ont malheureusement pas de voix dans l’espace public, mais guère plus dans l’espace privé. Le dévoilement d’une agression sexuelle est parsemé d’embûches, tant pour les adultes que les enfants. À cet effet, l’étude québécoise démontrait qu’une victime sur cinq n’avait jamais dévoilé son agression sexuelle à quiconque et qu’une victime sur deux l’avait révélée plus de cinq ans après l’agression.


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Les barrières au dévoilement pour les jeunes victimes sont multiples et incluent des facteurs comme un langage et des capacités cognitives moins développés (surtout pour les enfants d’âge préscolaire), la proximité avec l’agresseur (souvent un membre de la famille ou une personne dont l’enfant dépend), le réseau social limité en dehors de la famille, la honte et la peur de ne pas être crus, ou la crainte des répercussions négatives que pourrait avoir un dévoilement.

Heureusement, les études réalisées à ce jour révèlent que même les enfants en bas âge peuvent fournir des détails justes et précis quant à l’agression sexuelle qu’ils ou elles ont vécue, lorsque questionné·e·s de manière appropriée. Les pratiques d’investigation policière pour recueillir la parole des jeunes victimes sont d’ailleurs aujourd’hui bien adaptées, au Québec, notamment grâce aux travaux de Mireille Cyr et de son équipe et la formation offerte sur le protocole NICHD.

Des répercussions multiples

Nos travaux de recherche au cours des 15 dernières années ont permis d’identifier l’ampleur des difficultés vécues par les tout petits. Notamment, les jeunes enfants victimes d’agression sexuelle sont plus à risque de présenter des troubles de comportements intériorisés (anxiété, dépression, retrait social) et extériorisés (agressivité, comportement turbulent, opposition) que les autres enfants.

Ils sont également plus à risque de présenter des difficultés de sommeil et des symptômes de dissociation pathologique comme une sensation de détachement de soi ou de son environnement, des changements d’humeur soudains et une incapacité à se souvenir de certains événements.

Au cœur de ces difficultés se trouvent deux processus de développement fondamentaux altérés par une agression sexuelle en bas âge, soit la capacité à s’attacher sainement (attachement sécurisant vs insécurisant) et à autoréguler ses émotions.

Ces impacts précoces enclenchent de graves difficultés comportementales. Outre leur incapacité à réguler leurs émotions et à s’attacher sainement aux autres, les enfants peuvent avoir des difficultés académiques, des habiletés sociales moindres et ultimement des échecs scolaires. Ils vivent aussi de l’isolement social et des expériences de revictimisation sous forme d’intimidation par les pairs ou de violence dans les relations amoureuses à l’adolescence.

En somme, une agression sexuelle en bas âge est susceptible d’entraîner des répercussions à long terme sur les jeunes victimes.

Des solutions existent

Heureusement, il est possible de court-circuiter ces cascades négatives grâce à des interventions efficaces pour aider les jeunes victimes d’agression sexuelle à résoudre leur trauma et à devenir résilientes.

Par exemple, la thérapie cognitive comportementale centrée sur le trauma, combinée ou non avec des interventions ciblant les relations d’attachement, s’est avérée efficace auprès d’enfants d’âge préscolaire victimes d’agression sexuelle.

La prévention de telles violences devrait évidemment être prioritaire. Différentes initiatives ont cours dans les milieux postsecondaires afin de sensibiliser la communauté sur la violence sexuelle. Il faut saluer le retour de l’éducation à la sexualité dans les écoles secondaires et primaires au Québec. Mais il faut intervenir plus tôt pour viser une véritable éradication du problème. Des interventions préventives sont en déploiement depuis 2019, dès la période préscolaire, grâce au programme Lanterne offert par la Fondation Marie-Vincent.

La prévention des violences sexuelles doit passer par une éducation précoce à la sexualité, aux relations égalitaires et par une lutte aux stéréotypes sexuels.

Les parents, les éducatrices et éducateurs en milieux de garde et tout individu côtoyant de jeunes enfants dans son quotidien peuvent jouer un rôle crucial dans la prévention des violences sexuelles et contribuer à la création d’une société où les enfants n’ont pas à craindre d’être abusés ou exploités.

Rachel Langevin, Assistant Professor, Counselling Psychology, McGill University, McGill University et Martine Hébert, , Université du Québec à Montréal (UQAM)

Cet article est republié de La Conversation sous une license Creative Commons. Lisez l’article original.

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