Métro souligne les 10 ans de la plus importante grève étudiante de l’histoire du Québec, surnommée le «printemps érable». Tout au long de l’année, nous produirons des reportages sur les acteurs du mouvement, les impacts de la crise et la situation des étudiants d’aujourd’hui. Nous vous présentons aujourd’hui une entrevue avec Martine Desjardins dans le cadre de l’anniversaire de la manifestation étudiante record du 22 mars 2012.
La place du Canada, sous un soleil un peu frisquet du mois de mars. Martine Desjardins nous attend pour une photo. Le parc n’est pas tout à fait désert, mais il a déjà vu plus d’action. Beaucoup plus. Il y a 10 ans, le 22 mars 2012, plus de 200 000 étudiants s’entassaient dans le parc et autour du parc pour une manifestation record. C’était le moment le plus fort de la grève étudiante, du «printemps érable», comme on l’a baptisé à l’époque.
Le parc a peu changé depuis. Il manque un certain John A. Macdonald – ç’a l’air qu’il a perdu la tête récemment – mais sinon l’endroit est assez semblable. Les opinions de Martine Desjardins, présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) en 2012 et l’une des trois têtes d’affiche du mouvement de grève, n’ont pas beaucoup changé non plus.
Ces derniers jours, alors qu’elle est appelée à commenter régulièrement les événements de 2012, elle dit revivre ces moments avec beaucoup de fierté.
«On était stressés de voir autant de monde. […] On savait qu’en région ça répondait bien. Par exemple, on avait deux autobus qui descendaient de Rouyn-Noranda, c’est quelque chose! Il y avait aussi des votes exceptionnels de grèves d’un jour à McGill et ailleurs. On savait que ça serait gros», dit-elle en entrevue avec Métro.
La guerre des chiffres
Au bout du compte, on rapportait à l’époque que 200 000 étudiants avaient manifesté dans les rues de Montréal. Depuis, différentes personnes ont tenté de réévaluer ce chiffre. Certains disent que c’était plutôt 100 000, d’autres un peu plus.
Mme Desjardins ne s’embête pas avec cette guerre de chiffres.
«À la FEUQ, on avait deux camions, un à la tête de la manifestation et un à la queue. […] Après une heure et demie, on [les organisateurs] était arrivés à destination et on a appelé le camion de la queue pour dire que c’était terminé. Ils nous ont dit “Comment ça c’est terminé, moi je ne suis jamais parti de la place du Canada!”»
On ne savait plus où se mettre tellement il y avait de monde!
Martine Desjardins, présidente de la FEUQ en mars 2012
Résultats atteints?
«Ça a quand même été une période très intense de ma vie, pour un résultat qui a été largement satisfaisant. On a atteint nos objectifs», souligne celle qui occupe aujourd’hui le poste de directrice générale de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.
Cet objectif, bloquer une hausse des droits de scolarité de 325 $ par année pendant cinq ans, est revenu plusieurs fois sur la place publique cette année. La hausse a bel et bien été bloquée, avec une fin de règne pour Jean Charest en sus. Mais certains estiment que les gains ont finalement été bien maigres, les étudiants ayant perdu au change ailleurs.
C’est le cas notamment du chroniqueur Pierre-Yves McSween, dont les propos ont été repris par Jean Charest. Les deux hommes soulignent que les hausses subséquentes combinées à la réduction du crédit d’impôt pour frais de scolarité ont fait en sorte que les gains nets des étudiants sont limités à 367,20 $.
Mme Desjardins réfute ce calcul.
«En 2012, à la FEUQ, on avait déjà une étude qui disait que le crédit d’impôt pour frais d’études, la plupart des étudiants ne l’utilisaient pas. Dans la plupart des cas, ce sont les parents qui l’utilisaient. Et on s’entend, au Québec, généralement ce ne sont pas les parents qui paient pour les études. [Ce crédit d’impôt] ne servait pas les jeunes des milieux modestes ou plus pauvres», dit-elle.
Ça m’a montré une fois de plus que Jean Charest ne comprend pas la réalité de l’accessibilité aux études.
Martine Desjardins
Le mouvement étudiant d’aujourd’hui
Comme nous le rapportions récemment, le mouvement étudiant a bien changé depuis 2012. Deux des trois grandes associations nationales, la FEUQ et l’ASSÉ, n’existent plus. Mme Desjardins ne s’en désole pas trop, mais elle se demande si la présence d’un acteur important sur la scène nationale ne serait pas un atout.
«Je sais que le Cégep du Vieux Montréal a fait des manifestations pour la gratuité scolaire. C’est à peu près tout ce que je sais des revendications en ce moment», illustre-t-elle.
Mais l’ex-présidente de la FEUQ garde tout de même espoir.
«En 2011, une conseillère politique me disait qu’on n’était plus en 2005 et que les étudiants ne se mobiliseraient pas. Elle s’est mordu la lèvre par la suite! Alors je ne me risquerai pas à analyser la posture du mouvement étudiant», souligne-t-elle.