CHRONIQUE – L’adage veut que la culture soit «la nourriture de l’âme». Elle y ajoute en effet du relief, du recul, de la perspective et, par la force des choses, de l’espoir. Si l’humain, nez collé sur la vitrine du présent, méconnaît ou oublie ses passés, la culture se charge de l’affaire, leçons en prime.
Le film Effroyables jardins, issu du roman de Michel Quint, est venu illuminer, pour moi, un été jusqu’alors légèrement sombre. Les habitué.es de cette chronique – et je les en remercie – savent son alarmisme, sinon pessimisme. Or, la morale du bijou réalisé par Jean Becker – si vous n’avez jamais vu ses Enfants du marais, faites vite! – tient à l’honneur, au rire et à l’espoir, justement.
Vers la fin de la Seconde Guerre, donc toujours pendant l’Occupation, deux Français font sauter un centre d’aiguillage en guise de résistance. Ipso facto capturés par les Allemands, on les envoie au «trou» avec deux autres suspects, le temps que le ou les coupables se manifestent d’eux-mêmes. Dans le cas contraire, les quatre otages seront exécutés, manu militari, au petit matin. Nos deux lascars, André et Jacques, ont beau avouer leur méfait aux deux autres malheureux, ceux-ci refusent de les croire. Que ce soit vrai ou non, la solidarité primera.
Il se passe, à ce moment précis, un truc spectaculaire: le soldat allemand responsable de leur surveillance se met à enfiler les bouffonneries. Dubitatifs au début – il y a de quoi! –, les quatre condamnés embarquent dans le jeu et se mettent à rire comme des gamins, ébahis par les pitreries du soldat-clown, un dénommé Bernd. Une fois son audience déridée, celui-ci sort son accordéon et leur chante ceci:
Il y a d’la joie
Bonjour bonjour les hirondelles
Y a d’la joie
Dans le ciel par dessus le toit
Y a d’la joie
Et du soleil dans les ruelles
Y a d’la joie
Partout y a d’la joie
Un moment sublime, où l’humanisme, la fraternité et l’humour servent d’antidote au fatalisme, celui de l’exécution imminente. Un peu, en fait, à l’instar de La vie est belle, autre bijou de la même époque.
Mieux, ce n’est pas tout: l’heure de la fusillade sonnée, et malgré les directives de son supérieur immédiat, Bernd refuse de procéder, incapable, moralement, de mettre fin aux jours de ses copains d’infortune. Son refus d’obtempérer lui vaudra, ironiquement, une balle dans la tête.
À peine quelques minutes plus tard, un coup de fil inattendu au supérieur sur place: l’exécution est annulée. Raison? Quelqu’un d’autre que les quatre otages a admis son crime. Qui? Le gardien (français), sérieusement blessé, du poste d’aiguillage qu’ont fait sauter André et Jacques. Et pourquoi admettre la responsabilité du geste, lui qui en est pourtant la victime? Pour la cause, celle de la Résistance, et surtout pour sauver la vie des coupables – qu’il a reconnus – et, évidemment, des innocents pris en otage.
Hommes d’honneur, André et Jacques s’empressent d’aller avouer la vérité à la veuve du gardien, exécuté depuis son «aveu». Celle-ci leur répond: «Je le savais, que c’était vous, mon mari m’avait dit. Gardons ça entre nous, plus un mot là-dessus.»
Sidérant d’humanité.
En ces temps troubles, ceux du réchauffement climatique, de l’Ukraine (qui en parle encore?) et de la montée du populisme d’extrême-droite, voilà quelques leçons d’envergure: que l’amour du prochain, transcendant les frontières, doit triompher, peu importe les distinctions d’origine. Que la joie et la solidarité, sans nier la catastrophe potentielle ou imminente, assurent un crochet sur lequel reposent les espoirs de tout un monde.