Société

Crise chez les jeunes filles – on doit prendre leur santé mentale au sérieux

Alexe Bernier, McMaster University - La Conversation

Un article paru dans le Washington Post a récemment fait état d’une crise chez les jeunes filles aux États-Unis. Dans ce pays, les filles connaissent des taux plus élevés que jamais auparavant d’agressions sexuelles, de problèmes de santé mentale et de suicides.

Des données recueillies en 2021 par les Centres for Disease Control (CDC) montrent à quel point la situation des jeunes filles américaines est désolante. Quatorze pour cent des adolescentes aux États-Unis ont déclaré avoir été forcées à avoir des relations sexuelles, et 60 % avoir éprouvé des sentiments extrêmes de tristesse ou de désespoir. Près d’un quart des filles ont envisagé et planifié un suicide.

Bien que ces résultats soient basés sur des données américaines, ils correspondent aux témoignages des jeunes filles canadiennes depuis une dizaine d’années. Ainsi, plus de la moitié des étudiantes de l’Ontario ont dit souffrir d’une détresse psychologique modérée à grave. Une fille sur quatre a été victime d’abus sexuels avant l’âge de 18 ans.

Le suicide est la quatrième cause de décès chez les filles de moins de 14 ans, une statistique qui est relativement stable depuis 2016.

La réalité difficile des jeunes filles est généralement attribuée aux mêmes facteurs : normes de beauté irréalistes, pression des médias sociaux, culture du viol et, plus récemment, pandémie de Covid-19.

Dans le cadre d’entretiens menés par le Washington Post avec des jeunes filles, celles-ci parlent également d’une autre cause, dont on a moins conscience : lorsqu’elles s’expriment, les jeunes filles ne sont pas écoutées ou prises au sérieux.

Pourquoi n’écoute-t-on pas les filles ?

Je suis une ancienne intervenante sociale communautaire et j’ai travaillé avec des jeunes filles âgées de 10 à 18 ans. Ma recherche doctorale actuelle porte sur les filles âgées de 8 à 12 ans qui commencent à militer, et j’y explore les moyens par lesquels nous pouvons mieux les écouter et les soutenir lorsqu’elles nous disent ce qu’elles veulent pour leur vie et leur monde. J’ai entendu d’innombrables récits de jeunes filles qui sentaient que des adultes ne les prenaient pas au sérieux.

Cette réaction était souvent directement liée au fait qu’elles étaient des filles et accompagnée d’affirmations selon lesquelles elles traversent simplement une phase, ne racontent pas exactement ce qui s’est passé ou dramatisent.

En d’autres termes, lorsque les filles nous disent ce qui se passe dans leur vie, nous avons tendance à ne pas les croire.

Les adultes ont tendance à douter de la crédibilité des filles lorsqu’elles s’expriment, en raison de préjugés. (Shutterstock)

Le fait de discréditer la parole d’un groupe entier en raison de préjugés liés à leur identité est ce que la philosophe Miranda Fricker appelle l’injustice épistémique.

Les adultes ont tendance à douter de la crédibilité des filles en raison de préjugés sur elles et leur façon de vivre leur enfance, qui est perçue comme étant une période de frivolité, d’amusement et d’émotivité.

Prendre les filles au sérieux

Pendant longtemps, l’enfance des filles – plus particulièrement celle des filles blanches, de classe moyenne et supérieure, non handicapées – a été perçue comme une période d’innocence, de frivolité et d’amusement.

La construction de l’identité des jeunes filles est liée aux attentes qu’on a à leur égard comme enfant et sujet genré. On attend des filles, en tant qu’enfants, qu’elles aient toujours les yeux écarquillés d’émerveillement devant le monde qui les entoure. En tant que sujets genrés, les filles sont en outre stéréotypées sur des aspects typiquement associés à la féminité, tels que l’émotivité.

Lorsque les filles nous racontent ce qui se passe dans leur vie, nous devons les écouter et les prendre au sérieux. (Shutterstock)

Dans un monde qui oppose rationalité et émotivité, la première étant considérée comme plus crédible que la seconde, les filles sont discréditées en raison de la façon dont on les perçoit.

Lorsque des jeunes filles racontent ce qui se passe dans leur vie, notamment si elles ont été victimes d’une agression sexuelle ou si elles ont des pensées suicidaires, ces préjugés sont particulièrement dangereux.

Pour améliorer la vie des filles au Canada et ailleurs, il faut d’abord réfléchir de manière critique à ce qui fait en sorte que l’on a tendance à ignorer et à invalider leurs préoccupations. Remettre en question nos préjugés sur la crédibilité des filles est une première étape essentielle de ce processus.

Pour ce qui est de la crise que vivent les jeunes filles, celles-ci nous indiquent clairement la voie à suivre. Dans mon travail communautaire, des filles m’ont dit se sentir davantage soutenues par les adultes lorsqu’elles étaient écoutées et qu’elles avaient le sentiment d’être entendues. Dans l’article du Washington Post, les filles ont demandé aux adultes de « cesser de percevoir leurs préoccupations comme de la dramatisation ».

Les filles veulent – et ont besoin – d’être écoutées et prises au sérieux.

Alexe Bernier, PhD Candidate, Department of Social Work, McMaster University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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