Vivre ensemble

L’application de critères homogènes à toutes les facultés universitaires est contre-productive

Guillaume Blum - La Conversation

Encourager l’équité, l’inclusion et la diversité des groupes de personnes sous-représentées lors des candidatures dans les universités peut défavoriser d’autres groupes sociaux qui ne remplissent pas ces critères. Voici une analyse de Guillaume Blum, chercheur au centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST) et professeur agrégé à l’École de design de l’Université Laval.


ANALYSE – Depuis quelques jours, une controverse touche l’Université Laval. Pour viser ou s’approcher des critères ÉDI (équité, diversité, inclusion) imposés par le programme de chaires de recherche du Canada (CRC), les candidat·e·s à de nouvelles chaires doivent obligatoirement se qualifier à l’un des critères ÉDI, à savoir appartenir à une minorité visible, être une femme, autochtone ou en situation de handicap.

Les candidats ne s’inscrivant pas dans ces critères — les hommes blancs en situation de non-handicap — sont donc de facto exclus de l’appel à candidatures des programmes de chaire.

Si tout le monde semble d’accord sur le fait de favoriser l’équité, l’inclusion et la diversité des groupes de personnes sous-représentées, la chose n’est pas simple à réaliser. D’abord, il faut noter que des cibles à atteindre sont imposées par le programme des chaires de recherche du Canada aux universités sous peine de ne plus se faire financer. Et l’Université Laval n’atteint pas ses cibles.

Je vais appliquer dans cet article les critères ÉDI dans la répartition entre les hommes et les femmes: il s’agit du plus exigeant en termes de proportion (50 % à atteindre pour respecter la répartition dans la population) et les autres données n’étaient pas accessibles. Cet article s’inscrit dans des travaux menés au sein de mon axe de recherche portant sur les enjeux de l’innovation sociale et du design — et notamment ici du design de politique. Les sciences du design sont souvent mal comprises sur ce qu’elles peuvent apporter, étant majoritairement considérées comme un «art du beau», là où l’on devrait les considérer comme des sciences sociales appliquées, au service de la société.

Une approche stricte

Si l’objectif fait consensus, c’est la méthode utilisée qui est sujette à débat.

Dans ce cas, elle peut se situer dans un continuum dont voici les deux extrémités :

Entre ces deux pôles, on peut envisager d’autres approches, par exemple un critère statistique visant à ce que trois chaires sur quatre puissent satisfaire les critères susmentionnés. La méthode choisie ici à l’Université Laval correspond à la version la plus extrême pour satisfaire les critères, l’approche « stricte ».

Il faut dire que l’Université Laval part avec un certain retard sur le sujet. Ainsi, sur le critère du genre, 70 % des titulaires de chaires sont des hommes, 30 % des femmes. On paye l’inaction, ou l’inefficacité d’actions menées pendant trop longtemps. Et on peut ici critiquer le critère « fictif » des compétences égales, qui a retardé l’atteinte de cet objectif. En effet, les CV des hommes progressent plus vite que ceux des femmes pour plusieurs raisons, dont le fait que ces dernières prennent des congés de maternité, et donc qu’elles publient moins « à compétence égale ». Elles sont aussi moins citées, notamment car elles s’autocitent moins que les hommes.

Ainsi, ce critère de la préférence pour le candidat ÉDI à compétence égale a tendance à ne pas donner de bons résultats. On trouve généralement un homme qui, à compétence égale, aura davantage publié, été plus cité, etc. Sur papier, il disposera d’un meilleur dossier.

Pour autant, est-il juste d’appliquer un critère aussi strict à l’ensemble de l’Université ? Au-delà de la segmentation entre la satisfaction des critères ÉDI et leur non-satisfaction, n’y a-t-il pas une segmentation plus fine à réaliser pour avoir plus d’impact tout en restant juste ?

Deux constats

La comparaison par faculté de l’attribution des chaires de recherche du Canada — financées par les trois conseils de recherche du Canada (CRSH en sciences humaines, CRSNG en sciences naturelles et en génie, IRSC en santé) —, est de ce point de vue fort pertinente et permet de mieux comprendre la dynamique à l’œuvre.

L’Université Laval possède 16 facultés si l’on exclut celle des études supérieures et postdoctorales qui n’a aucun·e professeur·e dans ses effectifs. Le tableau suivant agrège la répartition des chaires de recherche du Canada par faculté et la distribution entre les titulaires hommes et femmes au sein de chacune d’entre elles.

Les données — publiques — proviennent du site Internet de l’Université.

Source des données : https://www.ulaval.ca/la-recherche/unites-de-recherche.

Les facultés disposant de trois chaires de recherches ou moins ont été agrégées, car cela n’avait que peu de sens de calculer la répartition entre hommes et femmes sur des petits groupes. Par exemple, la Faculté des lettres et sciences humaines dispose d’une seule CRC dont la titulaire est une femme, sans que l’on puisse en conclure grand-chose.

Premier constat: une forte iniquité dans la distribution des CRC

Les quatre premières facultés — à savoir la Faculté de médecine, la Faculté des sciences et de génie, la Faculté des sciences sociales et la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation — représentent 77 % du total. À elles deux, la Faculté de médecine et la Faculté de sciences et de génie comptent pour 52 % du total. Douze facultés disposent de trois CRC ou moins. Cette distribution pose déjà quelques questions. Non pas qu’il faille diminuer le nombre de chaires dans ces facultés bien financées, mais cela souligne le peu de CRC disponibles pour ce qui constitue le reste — la majorité — de l’Université. Un triste effet du sous-financement.

Deuxième constat: la distribution entre hommes et femmes varie beaucoup d’une faculté à l’autre

La distribution en faveur des hommes touche principalement les facultés de médecine, de sciences et de génie et celle des sciences sociales qui regroupent 77 % d’hommes pour 23 % de femmes. À l’inverse, si l’on prend l’ensemble des autres facultés, la répartition est assez équitable (52 % d’hommes pour 48 % de femmes).

Quelques facultés tirent l’Université vers le bas et contraignent les autres

Ainsi, quelques facultés (médecine, sciences et génie, sciences sociales), qui regroupent la grande majorité des CRC, sont fortement inéquitables entre la représentation des hommes et des femmes.

Leur poids dans le total des CRC (72 %) et leurs répartitions ÉDI (77 % d’hommes) tirent l’ensemble de l’Université dans le rouge, malgré des critères d’équité atteints dans le reste des facultés. Celles-ci souffrent donc d’une « double » peine : non seulement, elles se voient attribuer un nombre plus limité de chaires et se font donc moins financer, limitant leurs capacités en recherche, mais elles doivent par ailleurs attribuer au faible nombre de nouvelles chaires qu’elles peuvent espérer des critères ÉDI stricts, alors qu’elles les respectent déjà.

La conséquence est contre-productive : les trois principales facultés ne respectant pas les critères ÉDI pourront atteindre des critères moins performants en matière d’ÉDI puisque l’ensemble des autres facultés ne recrutera que des personnes satisfaisant ces critères, alors qu’elles les respectent déjà. Ainsi, elles « sur-performeront ».

Pour une approche plus équitable

À la vue de la forte variation des performances ÉDI selon les facultés, je proposerai de réfléchir à une voie alternative, qui vise à mieux segmenter l’application des critères par faculté : il s’agira d’appliquer des critères plus stricts à celles qui n’atteignent pas les cibles, et plus souples pour celles qui les respectent déjà.

À titre d’exemple, je proposerai le modèle suivant :

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