CHRONIQUE – Dans une sortie récente, le ministre québécois de la Justice en surprenait plus d’un en souhaitant maintenant une «conversation collective» relative aux Chartes des droits et libertés. Annonçant ses intentions, il ajoute du même souffle que seule celle du Québec devra, au final, prévaloir.
Surprenant parce que cette volonté de «converser» survient après les dommages, c’est-à-dire aux suites du double usage – Loi 21 et Loi 96 – de la disposition dérogatoire, rouleau-compresseur des droits protégés.
Dialoguer une fois le fait accompli, en d’autres termes. Saugrenu, dirait l’autre, surtout quand on sait que ces mêmes dérogatoires ont été invoqués simultanément aux deux chartes, suspendant ainsi également les effets de québécoise.
En bref, il aurait été plus honnête d’annoncer une discussion portant sur la nécessité de refuser les remparts judiciaires face aux abus potentiels d’un gouvernement contrôlant (très majoritairement) l’Assemblée nationale et donc, la destinée de nos minorités.
Le deuxième aspect du propos, soit la prédominance temps plein de la Charte québécoise sur son homologue canadienne, devait trouver écho chez plusieurs.
Dans une réplique à André Pratte, Antoine Robitaille vante l’initiative caquiste tout en diminuant l’impact réel d’une telle substitution. Après tout, de dire le chroniqueur, la Charte canadienne ne pourra être ainsi suspendue qu’en ce qui a trait à ses articles 2 et 7 à 15, et que cette suspension – laissant conséquemment le champ libre à la Charte québécoise – se ferait pour une durée maximale de 5 ans.
Quelques rappels, d’abord sur la forme: les articles visés de la Charte canadienne sont notamment les suivants: liberté d’expression, droit à l’égalité, droit à la vie, à la liberté et sécurité, protections contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives, présomption d’innocence, et j’en passe. Les principales pierres angulaires de notre État de droit, en bref.
Ensuite, que si la durée maximale de la dérogatoire est effectivement de 5 ans, celle-ci est…renouvelable. Ad nauseam et sans condition, d’ailleurs. Voilà qui aurait été utile de préciser.
Le fond, maintenant. S’il est effectivement permis pour l’Assemblée nationale de suspendre (partiellement) les effets de la Charte canadienne en sol québécois, une question demeure: POURQUOI?
Réponse: pour participer à cette néo-propension à la fierté québécoise à tout crin, laquelle semble imbiber toute politique du gouvernement Legault. Autrement dit, la proposition tient fort probablement davantage de l’esbroufe «identitaire» que de l’impact réel.
Parce que tant la Charte québécoise que canadienne tiennent essentiellement leurs sources de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et autres instruments du même acabit.
Ainsi, au contraire des prétentions de plusieurs, les droits et libertés protégés par nos deux chartes sont souvent identiques ou similaires, en appelant à aucun conflit présent ou réel.
D’ailleurs, sous réserve des résultats de la contestation judiciaire de la Loi 21, jamais jusqu’à aujourd’hui une disposition de la Charte québécoise n’aura-t-elle été invalidée pour cause de contradiction avec sa grande soeur canadienne.
Deux choses l’une, donc:
1) soit que le ministre de la Justice et son gouvernement n’ont aucune intention de métamorphoser les contours de la liberté d’expression, des garanties en matière pénales ou des protections anti-discriminations, auquel cas la suspension des effets de la Charte canadienne tiendra du symbole;
2) soit qu’ils ont idée de le faire, auquel cas il serait moralement louable, sinon impératif, d’en informer l’électorat avant le scrutin automnal.
Ps: selon le dernier sondage Léger/L’Actualité à cet effet, 69% des Québécois sont attachés à la Charte canadienne. En comparaison, cet appui affectif diminue à 60% quant à l’État québécois, 57% en regard à la Loi 101, et à 40% si l’on réfère à l’Assemblée nationale. Nourriture à réflexion, diraient les Anglais.