Vivre ensemble

Comment apprend-on une nouvelle langue?

Est-ce vrai qu’il est plus facile d’apprendre l’anglais que le français? Qu’un bébé à qui on apprend deux langues parlera plus tard qu’un bébé exposé à une seule langue? Qu’il est plus difficile de maîtriser une nouvelle langue à l’âge adulte? Un expert en apprentissage du français langue seconde, le professeur de didactique de l’Université de Montréal Gabriel Michaud, explique comment se passe l’apprentissage d’une nouvelle langue.

Comment nos cerveaux apprennent-ils une première langue?

«Pour apprendre une première langue, ça prend beaucoup d’expositions à ce qu’on appelle du “contenu significatif”. On s’intéresse au contenu du message plutôt qu’à sa forme.

Les êtres humains sont programmés pour apprendre des langues. On est capable de faire des associations entre ce qu’on voit et ce qu’on entend, ou entre ce qu’on voit et ce qu’on voit, dans le cas de la langue des signes. Apprendre sa langue maternelle, ça se fait d’une façon assez intuitive et implicite pour un enfant qui n’a pas de problème d’apprentissage.»

Chez l’adulte, comment l’apprentissage d’une nouvelle langue va-t-il se faire?

«Toutes les associations vont encore se faire de façon intuitive, sauf qu’il va y avoir certaines différences dans le processus d’apprentissage. La première est qu’on maîtrise déjà un système linguistique. On va aborder la nouvelle langue avec ce système-là, donc il faut le déconstruire.

La deuxième, c’est l’âge: quand on est jeune, on est capable d’apprendre intuitivement et sans vraiment s’en rendre compte. Quand on devient adulte, c’est quelque chose qui devient plus difficile, alors que notre capacité de raisonnement se développe davantage.»

Et pour les enfants qui apprennent deux langues en même temps?

«C’est ce qu’on appelle un bilinguisme simultané. Les deux langues deviennent un peu la langue première de l’enfant. D’ailleurs, plusieurs personnes pensent qu’un bébé prendra plus de temps à apprendre à parler s’il apprend deux langues: c’est un mythe. Il y a surtout des avantages sociaux et des avantages cognitifs à apprendre plusieurs langues en même temps.»

Est-ce plus facile d’apprendre une langue quand on est enfant que quand on est adulte?

«Bien qu’apprendre une langue semble plus facile pour les enfants, je dirais que ça ne l’est pas nécessairement. Oui, on peut garder une trace d’accent et certaines particularités qui montrent qu’on n’a pas grandi en parlant cette nouvelle langue. Mais c’est quand même important que les gens comprennent qu’on peut apprendre une langue seconde même à l’âge adulte, bien la maîtriser et être tout à fait fonctionnel dans cette langue.»

L’idée selon laquelle le français est plus difficile à apprendre que l’anglais, c’est un mythe ou la réalité?

«C’est très difficile de répondre à cette question-là. Je ne pense pas qu’on puisse dire qu’une langue est plus difficile qu’une autre. On n’a pas de critères objectifs pour dire que le [mandarin] est plus difficile que le français, par exemple. Tous les enfants qui sont exposés à leur langue maternelle vont l’apprendre de la même façon.

Quand on apprend une langue qui est proche ou qui partage plusieurs similarités avec notre langue maternelle, ça peut donner un certain avantage. Mais ça ne veut pas dire que parce que quelqu’un parle espagnol, ça va être super facile d’apprendre le français. Il va quand même y avoir des difficultés. Inversement, ce n’est pas parce que ma langue maternelle est le français que ça va être impossible pour moi d’apprendre le mandarin.

Cette distinction entre les combinaisons de langues, c’est un peu difficile à établir. C’est sûr que si on prend les codes de langues qui sont vraiment très proches, comme l’espagnol ou le portugais, oui, il peut y avoir une certaine facilité. Mais encore là, il faut faire attention, parce que ça peut créer aussi des interférences négatives.

Mais c’est vrai que des langues comme le français et l’espagnol partagent certains traits grammaticaux. Par exemple, elles font toutes les deux la différence entre le passé composé et l’imparfait. Donc, quand les Espagnols apprennent le français, c’est plus facile de comprendre qu’il y a une distinction à faire que pour un anglophone.»

Quel est le meilleur moyen d’apprendre le français comme langue seconde? Quels sont les meilleurs «trucs»?

«Un milieu qui demeure très privilégié, à mon avis, pour apprendre, ça reste la salle de classe. Admettons qu’on est complètement débutant, ça va être difficile de trouver du contenu complètement accessible ou de comprendre en écoutant des émissions. Si je suis dans une classe de français langue seconde pour débutants, l’enseignant va moduler son discours, il va adapter ses phrases, parler plus lentement, répéter, pointer, gesticuler, utiliser des images.

On est aussi avec des élèves qui ont à peu près le même niveau que nous. On peut interagir. Dans ces interactions-là se construit la compréhension de la langue.»

Que pensez-vous des applications d’apprentissage de langues?

«Je ne pense pas que ce soit nécessairement à jeter à la poubelle. Il y a des choses intéressantes par rapport au vocabulaire. On peut utiliser ces applications-là, mais il y a quand même un ingrédient qui manque pour l’acquisition des langues: cette fameuse interaction significative. Dans Duolingo par exemple, on met trop l’accent sur la structure de la phrase, la conjugaison du verbe ou la traduction et il n’y a pas vraiment d’interaction authentique. On apprend des phrases qui n’ont pas vraiment de sens et qu’on n’utiliserait dans aucun contexte.

Un des dangers que ça entraîne, c’est que ça peut être démotivant, parce qu’après des mois, c’est possible qu’on ne soit toujours pas capable de parler avec quelqu’un. C’est un risque de se fier uniquement à ces applications-là, mais c’est un bon outil complémentaire pour enrichir notre vocabulaire ou comprendre les structures d’une langue.»

Pourquoi garde-t-on un accent quand on apprend une langue à l’âge adulte?

«L’hypothèse la plus plausible pouvant expliquer pourquoi on conserve un accent, c’est que lorsqu’on est bébé, on est capable de reconnaître tous les sons. À mesure qu’on vieillit, qu’on entend sa langue maternelle, on se rend compte que certains sons sont plus importants que d’autres. Par exemple, pour moi, comme francophone, “ou” et “u” sont deux sons différents. Mais pour un hispanophone, cette distinction-là n’est pas vraiment importante.

Inversement, moi, en tant que francophone, quand j’apprends l’anglais, ce fameux h aspiré qu’on entend – la différence entre “add” et “had” – c’est plus difficile pour moi. Parce que j’ai perdu un peu de cette capacité de discrimination (de certains sons par rapport à d’autres) que les enfants ont.»

Articles récents du même sujet

Exit mobile version