Si une rue a un potentiel «accidentogène» élevé, combien de morts et de blessés doit-on observer avant d’agir politiquement pour modifier sa configuration?
La question peut paraître fallacieuse. N’importe quel élu vous répondrait sans hésitation qu’une mort sur le réseau routier est toujours une mort de trop, qu’il faut agir rapidement pour éviter que cela se reproduise.
La réalité est cependant tout autre sur le terrain. L’exemple parfait est celui du boulevard Rosemont, entre les rues Saint-Denis et Saint-Hubert. Ce secteur est plongé au cœur d’une métamorphose depuis quelques années, avec l’arrivée, autour de la station de métro Rosemont, du complexe résidentiel Quartier 54, de la bibliothèque Marc-Favreau, d’un CPE et d’une coopérative d’habitation. Une résidence pour personnes âgées en perte d’autonomie sera également bâtie sous peu.
Le nombre de piétons et de cyclistes s’est ainsi multiplié rapidement, ne serait-ce que pour aller faire des emplettes sur la Plaza Saint-Hubert à proximité ou pour accéder à l’édicule de métro.
Mais il n’y a pas que les résidants qui se sont multipliés le long de cette portion du boulevard Rosemont: les accidents routiers aussi, selon les données de la Direction de santé publique de Montréal et de la Société de l’assurance automobile du
Québec. Depuis 2011, un cycliste et plus d’une dizaine de piétons ont été blessés à la suite d’un impact avec un véhicule, dont un cas qui s’est soldé par un décès.
C’est pourquoi le maire de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie, François William Croteau, a décidé de prendre les choses en main en demandant à la ville-centre, responsable du boulevard, de modifier son aménagement afin d’éviter d’autres drames. Son projet consiste à remplacer deux voies de circulation sur six par de larges trottoirs, sur lesquels la végétation et le mobilier serviraient de «barrière» aux piétons qui tentent de traverser n’importe où. Cette configuration pousserait ainsi le flux piétonnier vers les intersections, en plus de créer un environnement urbain beaucoup plus convivial. On ne pourrait demander mieux.
Mais le projet a été refusé par la ville-centre, puisqu’il «ne cadre pas avec la mission et l’objectif du Programme de réfection routière, qui est de remettre en état le réseau routier», me répond-on au cabinet du maire. En d’autres mots, la rue n’est pas suffisamment en mauvais état pour justifier cette dépense, qui serait de 500 000$ à 700 000$ selon l’estimation du maire Croteau. On préfère donc investir dans le pavage ailleurs sur l’île.
«Tant et aussi longtemps qu’on ne modifiera pas l’aménagement du boulevard pour favoriser les déplacements à pied ou à vélo, on va mettre en danger la vie des citoyens, dénonce M. Croteau. Ce n’est pas qu’une question de comportement et de code de la sécurité routière : le design urbain compte pour beaucoup.»
Quand je lui demande s’il pense que l’élimination de voies de circulation au profit des piétons pourrait justifier en partie la décision, sa réponse ne se fait pas attendre. «La logique de l’administration Coderre est simple: oui à une meilleure sécurité des piétons et des cyclistes, tant qu’on ne touche pas à l’espace de la voiture. Mais tant qu’on aura cette vision de la ville, ce sera le statu quo.»
Bien qu’il soit fâché de la situation, M. Croteau ne perd pas espoir et vient de relancer les élus responsables du transport et des infrastructures au comité exécutif, Aref Salem et Lionel Perez, afin qu’ils revoient cette décision. Il attend toujours une réponse de leur part.
Je pose donc ma question de nouveau : combien de morts et de blessés doit-on compter avant d’agir politiquement pour corriger un design urbain défaillant?