Non, l’Amérique ne pleure pas, mon ami

CHRONIQUE – Cher ami, j’ai en tête, depuis quelques jours, ta remarque sur la toune des Cowboys. À savoir, plus concrètement, si celle-ci se veut symptomatique d’un mal de vivre collectif actuel.

Je te sais, en ce moment précis, aux prises avec un découragement carabiné. Celui qui, inéluctablement, survient cycliquement chez tout militant de ton acabit: empathique, juste et entêté. Tu doutes, sinon redoutes, de la portée réelle de tes actions, prises de parole et postures idéologiques.

Tu refuses, me disais-tu encore avant-hier, de débattre davantage avec les cons. Ceux-là mêmes qui t’ont atteint trop souvent en plein coeur – sensible chez toi – de par leur bêtise et méchanceté. Les tempêtes traversées laissent, invariablement, des traces sur le rivage. Le tien étant particulièrement piétiné, tu considères lancer la serviette de la militance et te consacrer entièrement à ceux que tu aimes, nombreux, et qui t’aiment en retour, réciproquement nombreux.

Sache, comme je te l’ai souvent dit, ma compréhension complète. En ces ères de dictature du populisme, d’anti-science et de mensonges trumpistes, le combat social épuise, voire pulvérise les plus opiniâtres d’entre nous. 

Alors que la planète crame chaque jour davantage, les pirates de Twitter, cerveaux lavés et commandités par des charlatans multiformes, attaquent à coups de désinformation assassine.

Alors que l’extrême-droite prend du galon à chaque centimètre carré, des chroniqueurs bien en selle, payés à frais par des manipulateurs de première, martèlent au contraire que celle-ci n’existe point.

Alors que ces mêmes fraudeurs intellectuels présentent le wokisme comme étant la quatrième émancipation de la pensée totalitaire à travers l’histoire, sans mention des legs d’Hitler et Mussolini, personne ou presque pour s’en objecter.

Alors que la cruauté animale, sujet qui t’interpelle particulièrement, se déroule sans heurt dans l’apathie complète et le quotidien de la quasi-totalité des citoyens terrestres.

Alors qu’outre sa sauvagerie, ce même élevage compte pour 14,5% des émissions de gaz à effet de serre, soit son facteur le plus substantiel, n’émeut quiconque.

Alors qu’avant d’écrire ces lignes, une amie en visite à Auschwitz m’écrit ceci: «Tu avais raison, c’est plein de gens ici prenant des selfies, grands sourires au visage. C’est à mourir de bêtise.»

Tout ceci, en bref, pour te dire que je comprends, ressens et empathise avec ton découragement actuel. D’aucuns, ordinairement constitués, le seraient à moins.

Reste que, mon frère, je ne peux souscrire à la solution envisagée, celle de la serviette jetée. Parce que si la bataille est effectivement probablement perdue d’avance, reste (bêtement) ceci: la désertion n’est pas une option.

Je pense – entre autres arguments – à ceux qui nous suivent, dans la pyramide des âges. Ma fille. Les tiennes. Aussi, et surtout peut-être, ton petit-fils. On leur dit quoi, aux héritiers? Le monde est trop con, nous sommes fatigués, dodo et bonne chance!

Bah non. Pas possible.

Parce que si donner naissance, en ces jours de feux, constitue rien de moins qu’un acte de rébellion parfaitement subversif, il nous reste à être là, debout, sur la ligne de front. Avec et pour eux. Temps plein.

***

Le lien avec la toune des Cowboys? Ceci: au contraire de toi et du populaire band, il m’est impossible d’imaginer l’Amérique pleurer. Parce que pour être triste, encore faut-il être conscient de son malheur, ou encore d’un désastre imminent.

Or, l’humanité ignore généralement le train mortifère sur le point de frapper. 

L’Amérique insouciante serait donc un titre davantage précis, à mon sens.  Au point où, pour reprendre le classique de Sisyphe, il faut plutôt imaginer le trucker – celui de la chanson – heureux.

Insouciante et donc non résignée, pour l’instant du moins, l’Amérique verra incessamment le retour du balancier faire son œuvre. Restera à valider, le cas échéant, le temps disponible pour «empêcher que le monde ne se défasse».

Dans l’intervalle, mon ami, mon frère, si le désarroi poursuit sa quête de destruction massive, raccrochons-nous (encore) à ces mots de l’irréductible Camus:

        Là où il n’y a pas d’espoir, il faudra en inventer.

Je t’aime,


F.

Twitter de Frédéric Bérard

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