CLEVELAND — Dans le cadre d’une année électorale sans précédent, le premier débat entre le président Donald Trump et son rival démocrate Joe Biden pourrait représenter un moment décisif dans une course qui n’a suscité que peu de rebondissements depuis le début.
Les deux hommes auront la chance d’étayer leurs visions radicalement différentes d’un pays déchiré par les manifestations contre l’injustice raciale, une pandémie qui y a fait plus de 200 000 morts et une économie frappée de plein fouet.
Malgré tout, un nombre relativement modeste d’électeurs demeurent indécis. On peut donc se demander quel sera l’impact réel des échanges sur une course qui se démarque depuis le début par son ton acrimonieux et, du moins pour le moment, par sa stabilité.
M. Biden se présentera à Cleveland fort d’une avance dans les sondages — confortable à l’échelle nationale, plus serrée dans les États cruciaux. Il devra toutefois prouver qu’il a ce qu’il faut pour occuper la présidence.
M. Trump, de son côté, ne dispose plus que de 35 jours pour refaçonner la course. Ce sera possiblement sa meilleure occasion de convaincre les électeurs que le scrutin ne représente pas un référendum sur sa gestion de la pandémie.
Le débat pourrait aussi être teinté par le décès que la juge progressiste Ruth Bader Ginsburg et le désir de M. Trump de la remplacer par une juge conservatrice, et par les révélations que M. Trump n’a payé que 750 $ US en impôt fédéral sur le revenu en 2016 et 2017, et rien du tout lors de plusieurs autres années.
Mais même face à la pandémie de COVID-19, à une vie quotidienne chamboulée, à une économie qui piétine et aux manifestations parfois violentes qui ont éclaté après la mort de plusieurs Noirs aux mains de la police, la course présidentielle n’a que peu changé depuis que M. Biden a pris le contrôle des démocrates au printemps.
Le pays doute ouvertement de la gestion de la pandémie par M. Trump, mais sa base électorale n’a pas été trop ébranlée. Des électeurs plus âgés et des femmes l’ont déserté, surtout dans les banlieues, mais il peut toujours espérer obtenir les 270 votes électoraux qui le ramèneront à la présidence, même si cela est maintenant un peu plus compliqué.
Les sondages indiquent qu’il y a moins d’électeurs indécis aujourd’hui qu’au même moment en 2016. Et même les débats très attendus du passé n’ont ultimement eu que peu d’impact sur le scrutin.
Il y a quatre ans, on considérait essentiellement que Hillary Clinton avait eu le meilleur face à M. Trump lors de leurs trois débats. Elle a quand même perdu. En 2012, Mitt Romney avait anéanti Barack Obama lors de leur première rencontre, avant de s’effondrer lors des deux suivantes.
Certains débats ont quand même changé quelque chose. En 1960, John F. Kennedy a été perçu — du moins par ceux qui ont vu les échanges à la télévision — comme ayant dominé Richard Nixon. En 1980, Ronald Reagan a rassuré les électeurs qui s’inquiétaient de son tempérament en triomphant de Jimmy Carter.
Si les deux camps s’attendent à un débat corsé entre deux hommes qui ne s’aiment pas, le camp Biden a cherché à minimiser l’importance de la soirée en faisant valoir que la COVID-19 et l’économie seront plus importantes que des phrases bien placées. Le camp Trump croit plutôt que ce sera l’occasion pour le président de relancer sa campagne en endommageant son rival.
M. Trump a confié à ses conseillers qu’il prépare un assaut sans merci contre M. Biden. Il aurait l’intention de présenter son rival comme un homme qui ne comprend rien aux Américains moyens après 47 ans à Washington, et dont la famille — et plus précisément le fils Hunter — est corrompue. Le président a aussi de nouveau demandé lundi que M. Biden se soumette à un test de dépistage des drogues, après avoir affirmé sans la moindre preuve que le candidat démocrate utilise des substances pour améliorer sa performance.
«Le type ne comprend rien. Il ne sait même pas où il est, a récemment déclaré M. Trump, en comparant le débat à un combat de boxe et en pointant sa tête du doigt. Pour gagner, il faut avoir quelque chose ici. C’est, je dirais, 50 % de la victoire.»
M. Trump n’a jamais été très élégant lors des débats, mais sa présence est imposante sur scène. Son manque de préparation pourrait lui coûter cher.
«Historiquement, les présidents sortants sont moins bons lors du premier débat, essentiellement parce qu’ils ne sont pas habitués à être défiés ouvertement, a expliqué l’historien présidentiel Jon Meacham. La question la plus importante, celle qui a eu le plus d’impact, a été posée il y a 40 ans, lors du débat Reagan-Carter une semaine avant le vote. La question centrale, ‘Votre vie est-elle meilleure aujourd’hui qu’elle l’était il y a quatre ans?’, prend une toute nouvelle pertinence aujourd’hui.»
Les performances de M. Biden lors des débats primaires ont été inégales, et certains militants démocrates s’inquiètent de sa performance mardi soir. Mais son équipe croit que ce sera le moment idéal pour mettre en lumière les échecs de M. Trump face à la pandémie et à l’économie.
L’ancien vice-président s’attend à devoir agir comme «vérificateur en chef» toute la soirée, mais aussi à faire l’objet d’attaques incessantes.
«Elles (les attaques) seront surtout personnelles, a dit M. Biden. C’est tout ce qu’il sait faire. Il ne sait pas comment débattre des faits parce qu’il n’est pas si intelligent. Il ne connait pas vraiment les faits.»
Jonathan Lemire et Jill Colvin, The Associated Press