Automne 2010. Dans un luxueux palace de Québec, je prends part à un colloque sur l’immigration. Il y a là des experts du dossier, des hauts cadres de l’Immigration, des universitaires et des dirigeants d’organismes qui luttent dans les tranchées pour aider les nouveaux arrivants à survivre.
Arrive le débat. Je me présente au micro pour lancer un discours non politiquement correct : la ministre de l’Immigration en poste ne cesse de radoter que l’immigration est un privilège et que «ça va faire!», en bon québécois.
L’immigration est une entente d’égal à égal entre le candidat à l’immigration et la société d’accueil. Si c’était le contraire, si ce n’était pas un contrat où chacun trouve son compte, ça irait forcément «mal à la shop»!
Dans ces messes, quand tu te lances dans une telle diatribe, tu deviens subitement persona non grata aux yeux de certains fonctionnaires du ministère de l’Immigration.
Après le débat, une dame d’un certain âge, bien sapée et très articulée, au sens propre comme au figuré, se présente à ma table. Vous le savez, après la guerre des mots, le repas est souvent le lieu du réseautage, du lobbying et, surtout, du «dire» et du «faire dire du bien», ce qu’affectionnent les spin doctors. Une joute pour faire triompher sa position.
En tout cas, la dame s’attable à mes côtés. J’ai oublié son titre, mais elle se présente comme une importante gestionnaire quelque part dans l’immense toile de l’Immigration au provincial. Elle est la première à entamer la discussion.
Évidemment, elle n’est pas du tout d’accord avec mon propos. Elle essaie en vain de me convaincre du contraire. Au milieu du repas, mon interlocutrice finit par me poser la question qui tue : «D’où viens-tu?»
Au tout début de mon immigration, je répondais poliment que je venais du Maroc. Mais, cinq ans après avoir débarqué de mon autre planète, maintenant que j’ai enterré l’immigrant en moi et que j’ai commencé à revendiquer ma québécitude, la question me frustre, surtout venant d’une inconnue qui me fait la leçon!
Ce jour-là, pour faire durer le suspense, je réponds à la maudite question : «Je suis de Montréal.» Et là, il faut voir le visage de la dame. Son maquillage se défait et son air angélique fait place à un non verbal sinistre. «Mais non, lance-t-elle d’un ton narquois, d’où viens-tu à l’origine?» Je lui rétorque : «Là, je viens du quartier Ahuntsic, mais à l’origine, j’habitais Saint-Léonard.» Et vlan! Son visage se referme et elle se venge avec ardeur sur son dessert. Plus aucune question. La paix!
Les opinions exprimées dans cette tribune ne sont pas nécessairement celles de Métro.