Autobus, ligne 129. Il est 16 h 20. Nous sommes peu nombreux. Dix passagers précisément. Quatre femmes et six hommes. Parmi ces derniers, un ado.
Nous sommes tous plongés dans nos lectures. Romans, journaux; chacun est concerné par l’actualité qui occupe le monde ce jour-là ou aspiré par l’univers romanesque d’un auteur américain, français, russe. L’adolescent tout près de moi est intensément pris par Guerre et paix. L’autobus dans lequel nous voyageons fait d’ailleurs penser à une poupée russe. Une grosse bulle qui en abrite plusieurs petites, qui se distinguent par les histoires qui les habitent.
C’est agréable, feutré, silencieux. En fait… PRESQUE silencieux. Car, du fond du véhicule, arrive soudainement un bruitage incongru. L’ado quitte Tolstoï et lève aussi la tête. Comme moi, il aperçoit un homme dans la trentaine qui, lui, est absorbé par un autre genre de guerre.
Il manipule un petit appareil. Un genre de console de jeu vidéo portative. Si tout dans cet objet est petit, le son qui s’en échappe, lui, est spectaculaire. On entend des tirs, des lasers, des explosions qui viennent pervertir les airs de Grande Bibliothèque mobile qu’avait si agréablement pris l’autobus.
Mais l’homme ne voit rien. Il pitonne, fait exploser des planètes ou tomber l’ennemi sur le champ de bataille virtuel à grands coups de pétarades, de lasers et de mitraillettes. Toutes les armes et les époques se confondent. On dirait une rencontre sonore entre La guerre des étoiles et la Seconde Guerre mondiale. L’adolescent essaie d’ignorer cette toile sonore imposée et retourne à sa lecture. De mon côté, étant dotée d’un pouvoir de concentration digne d’une perruche, j’aurais bien envie d’agiter ,à l’endroit du passager bruyant, un drapeau blanc. De manière à ce que le silence reprenne sa place.
L’homme a dû sentir qu’il détonnait. Ou peut-être a-t-il simplement perdu sa partie? Peu importe. La bonne nouvelle est qu’il capitule enfin et qu’ici et maintenant, triomphe la paix.