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Lettre de Jean Charest aux étudiants en grève

Chers étudiants, chers concitoyens,

Il y a maintenant 13 semaines que le conflit autour des droits de scolarité perdure. Hier, des coups d’éclats dans le métro de Montréal ont affecté des milliers de gens qui se rendaient à leur travail. En fin de semaine, à Victoriaville, une manifestation qui a viré à l’émeute a failli coûter la vie à deux concitoyens. L’un d’eux a perdu l’usage d’un oeil.

Nous ne devons pas attendre que la situation dégénère davantage. Nous ne devons pas attendre qu’il y ait un mort pour réagir et reprendre nos esprits.

Je demande à tous, leaders étudiants, membres de la société civile, simples citoyens, collègues députés, et en particulier aux chefs des autres formations politiques représentées à l’Assemblée nationale, de m’aider à faire entendre cet appel à une plus grande sérénité dans l’exercice légitime de ce droit au désaccord, qui est le fondement de la société libre que nous avons un jour voulu nous donner, et que tous nous souhaitons préserver.

Samedi, certains de mes collègues et moi nous sommes rendus coupables d’un excès d’arrogance après la conclusion d’une entente avec les représentants des principales associations étudiantes. C’était une erreur dont j’assume la responsabilité, et je m’en excuse sincèrement.

J’aurais dû souligner dès samedi, et je le fais maintenant, tout le courage dont ont dû faire preuve Martine Desjardins, Léo Bureau-Blouin, Philippe Lapointe et tous les autres représentants étudiants qui ont participé aux négociations. Ils portaient le message de dizaines de milliers d’étudiants. Leur tâche n’était pas facile.

Avec l’aide des représentants syndicaux également présents, nous étions, tous ensemble, arrivés à un compromis honorable. Nous n’y serions jamais parvenus si Martine, Léo et Philippe n’avaient pas accepté le risque que représente la nécessité d’un compromis. C’est tout à leur honneur.

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Le jeu politique nous entraîne trop souvent dans une dynamique où la seule chose qui compte est de marquer des points pour soi, et d’en faire perdre à ses adversaires. Il y a cependant des situations qui nous demandent de nous élever au-delà des considérations partisanes. Nous vivons une telle situation aujourd’hui.

En-dehors de nos idées et de nos convictions différentes, nous partageons tous une certaine idée d’un Québec que nous désirons juste et équitable. Le fait que nous différons sur les moyens d’y arriver ne devrait pas suffire à faire oublier cet objectif commun.

Je ne tenterai pas aujourd’hui de convaincre ceux que je n’ai pas réussi à convaincre en trois mois, en trois ans, en trois mandats.

Mais je leur demande de prendre une pause.  La vie doit maintenant reprendre son cours. Et pour ceux d’entre vous qui étudiaient jusqu’à tout récemment, cela signifie de reprendre vos études. Ces études, c’est votre avenir. C’est aussi un peu le nôtre.

Afin que le retour en classe puisse se faire de façon sereine, l’entrée en vigueur de la hausse des droits de scolarité sera reportée d’un an.

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Le gouvernement que je dirige entrera bientôt dans la dernière année de son mandat. Il y aura des élections. Devant la présente impasse, c’est là que le débat sur les droits de scolarité devra être tranché.

Chaque parti a son propre regard sur la question. Pour notre part, nous défendrons ce que nous croyons être une contribution réaliste de la part des étudiants, à laquelle nous avons assorti différentes mesures afin de s’assurer que, aussi modeste son origine, chacun d’entre nous puisse aspirer à suivre le parcours académique qui lui conviendra, et que le talent et l’effort soient les meilleurs gages de son succès.

Le Parti québécois, la Coalition avenir Québec, Québec solidaire, tous ceux qui, outre le Parti libéral du Québec, solliciteront votre confiance à l’occasion du prochain scrutin ont leur propres idées sur la voie à suivre pour l’éducation supérieure et, plus généralement, sur la conduite de l’État québécois. Leurs points de vue, que je ne partage pas toujours, n’en demeurent pas moins légitimes. Et la liberté que vous avez de donner votre appui à l’un ou à l’autre l’est tout autant.

Dans notre société, toutes les opinions, toutes les idées peuvent s’exprimer. Un premier ministre britannique disait de la démocratie parlementaire qu’elle est un très mauvais système, mais qu’il s’agissait tout de même du moins pire auquel on ait pensé.

Cette occasionnelle dictature de la majorité peut, parfois, être une cause de frustration pour ceux qui sont d’avis contraire. Mais la dictature d’une minorité serait une bien plus mauvaise chose.

C’est pourquoi je vous appelle tous, et particulièrement les étudiants qui se sont mobilisés ces dernières semaines, à voter en grand nombre lorsqu’il sera temps. Votez pour nous. Votez pour un autre parti. Mais surtout, votez. La démocratie est au plus mal lorsqu’on tente d’imposer ses idées par la force et l’intimidation, où même simplement lorsqu’on la déserte.

Les médias sociaux sont des relais puissants pour mobiliser des citoyens autour d’une idée. Le droit de penser haut et fort, voire de crier, ceux de manifester et de revendiquer en nombre pour interpeller le gouvernement, les institutions et les citoyens sont des fondements essentiels à une expression démocratique saine, vivante et complète.

Mais ces droits impliquent, dans une société ou la volonté populaire peut s’exercer de façon entière – quitte à rayer un parti de la carte électorale ou y faire naître un nouveau – l’obligation d’accepter dignement le verdict lorsqu’on se sera fait entendre sans arriver à convaincre.

L’acceptation à l’avance de la défaite de son idée est une composante essentielle du contrat social auquel nous participons. Le changement peut commencer dans la rue. Mais il se concrétise dans l’urne.

Aujourd’hui, nous exerçons le mandat que nous avons reçu de la population du Québec il y a presque quatre ans. Demain, vous déciderez qui le fera. Ce sera votre décision de nous donner un autre mandat, auquel cas nous poursuivrons ces politiques, ou de confier la direction du Québec à une autre formation. Cela pourra signifier de geler les droits de scolarité à l’université, voire de les diminuer ou même de les  éliminer.

Ce sera votre décision. Et, si c’est le cas, même si je ne serai pas d’accord, j’applaudirai la chance que j’ai de vivre dans une société où une telle chose aura pu avoir lieu.

En attendant, la vie doit reprendre son cours, dans le respect de nos différences.

Merci.

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C’est l’appel que je lancerais aujourd’hui si j’étais monsieur Charest.

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