Les Haïtiens font peur. Du moins aux Bahamas. Ils représentent un «danger» pour l’identité de ce chapelet d’îles où une centaine de boat people viennent échouer chaque jour.
Quelques heures après l’arrestation, vendredi, de 78 migrants clandestins ayant fui l’un des pays les plus pauvres de la planète, Fred Mitchell, le ministre des Affaires étrangères et de l’immigration des Bahamas, ordonnait leur rapatriement. Sur-le-champ.
Il faut, a-t-il déclaré au Nassau Guardian, prendre tous les moyens pour mettre fin à «l’invasion» des Bahamas, archipel composé de 700 îles dont la population, fortement tributaire du tourisme (60% du PIB), ne dépasse pas les 400 000 âmes. Le même message résonne un peu partout dans les Caraïbes. Dans les minuscules îles voisines de Turks-et-Caïcos, des drones vont être déployés pour traquer et capturer les sans-papiers haïtiens.
En République dominicaine, c’est plus de 250 000 Haïtiens qui sont menacés d’expulsion, même si certains y vivent depuis des décennies. Dans toute la région, ils sont devenus des parias. À l’instar des réfugiés africains tentant leur chance avec des embarcations de fortune vers l’Eldorado européen, ils sont indésirables.
Quand ils ne font pas naufrage, ils introduisent avec eux leurs particularités de langue, de rites et de culture. Les préjugés sont tenaces à l’égard de la «grande puissance» migratoire de la première république noire du Nouveau Monde, longtemps isolée du reste des Antilles.
Depuis toujours, les Haïtiens émigrent. Ils peinent à sortir de leur misère, contrairement à bon nombre de ressortissants de pays de la région. Plus de 70% vivent avec 2$ par jour. Depuis le séisme apocalyptique du 12 janvier 2010, l’exode s’est accentué. Il y a cinq ans, au Brésil, ils étaient moins de 200. Aujourd’hui, ils sont plus de 40 000.
À défaut du lointain Brésil, les «riches» Bahamas, avec un taux de chômage de 15% (quatre fois moins qu’en Haïti), sont une destination de rêve. Souvent brisé, cependant.
Et qui a tourné au cauchemar le 1er novembre quand le gouvernement de l’archipel a imposé des règles plus strictes pour l’émission de permis de travail et de résidence. À la prochaine rentrée scolaire, les enfants de parents haïtiens devront se procurer un permis d’étudiant au coût de 125$.
Ce durcissement de la politique d’immigration est appuyé par plus de 85% des Bahamiens.
Sur les 80 000 Haïtiens vivant aux Bahamas, la moitié est en situation irrégulière. Au total, ils représentent le quart de la population bahamienne. C’est la minorité ethnique la plus importante de l’ancienne colonie britannique. Depuis l’Indépendance, en 1974, elle a quintuplé. C’est une «bombe démographique». Il faut la rejeter pour préserver l’«identité» du pays. Près de 4000 Haïtiens auraient ainsi été rapatriés l’an dernier.
«Être Haïtien n’a rien de répréhensible», assure le ministre Mitchell. Bien sûr que non. Mais pas au Bahamas ni, visiblement, dans aucune autre île des Antilles.