Il y a deux semaines, je suis tombé sur un article du journal Le Devoir qui m’annonçait en panique que «Les intégristes ont gagné». Après avoir lâché un cri apeuré de jeune pucelle, retiré tous mes REER et barré la porte de mon appart, j’ai lu l’article en question. C’est alors que j’ai appris que l’émission Et Dieu créa Laflaque a abandonné son idée de créer un personnage du prophète Mahomet. «Je le dis sincèrement: les intégristes ont gagné. C’est absolument une défaite pour la liberté d’expression, s’y exclamait le concepteur Serge Chapleau. Je ne vois pas d’autre sujet aussi dangereux.» Ah, c’est tout?
Ce brillant caricaturiste commencerait-il à devenir gâteux? Pas d’autre sujet aussi dangereux? Au Québec? On parle bien de Mahomet, ce prophète en Snuggie qui porte un turban pour cacher sa calvitie tel un Patrick Normand en gougounes connecté au Dieu du country? On s’en torche de Mahomet. C’est de la fausse irrévérence. Dans certaines régions du monde, je comprends qu’on veuille s’en moquer absolument. Mais au Québec, est-ce une cible incontournable? Les tabous sont variables selon le contexte sociohistorique des cultures. Les tabous des uns ne sont pas forcément ceux des autres. En humour, faire de Mahomet un sujet prioritaire, c’est comme baser une campagne électorale sur le niqab.
Selon moi, si on veut faire un humour irrévérencieux au Québec, il y a une pléthore de personnes qu’on devrait caricaturer avant Mahomet. Il n’est pas une figure de pouvoir et d’influence au Québec. Pourquoi ne pas rajouter à leur belle liste un personnage de *nom censuré, présidente du nom censuré, prophète des inégalités de richesse; de nom censuré, PDG de nom censuré, qui veut pénétrer dame Nature avec un pipeline; de nom censuré, PDG de la Banque nom censuré, qui a empoché quelques modestes millions en salaire et boni pour agrémenter son céleri avec du Cheez Whiz; de la famille nom censuré, gourou des affaires, qui a le pouvoir de réécrire les lois et la politique canadienne; etc.? Tous ces exaltés du casse, par leur influence politique et économique, participent à créer ces fous que M. Chapleau dénonce, et ce, encore plus que les religions. Et quand le ministre de l’Agriculture nous dit que «Monsanto est plus puissante que le gouvernement», ma peur n’a rien à voir avec Mahomet, qui a au moins la qualité d’être bio.
Je pose la question à mes collègues humoristes: a-t-on les moyens de se payer la tête des «déviargés de la dignité», comme disait Gérald Godin à la Nuit de la poésie? Peut-on encore reconnaître nos vraies cibles? Celles qui méritent de se faire imiter par Pierre Verville? Les intégristes islamiques ne permettent pas qu’on représente Mahomet. Voilà une exigence qui ressemble au contrat de plusieurs journalistes qui stipule que les employés ne peuvent en aucun cas critiquer leur grand patron. Toutes les entreprises médiatiques ont une clause semblable ou une loi non écrite. Donc, les caricaturistes ne peuvent peindre le prophète Mahomet, tout comme les journalistes ne peuvent dépeindre nom censuré. Oui, les intégristes ont gagné! On n’est juste plus en mesure de les reconnaître ni de les nommer. Bref, la liberté d’expression, légalement, ne me permet que de dire Fuck the system. Assez vague pour que personne ne sente concerné. Arrangez-vous avec ça.