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Travaille, consomme, crève!

En lisant un article sur le cruel manque de temps des Québécois, je me suis rappelé un graffiti que j’avais vu lors de mon voyage sac à dos en Europe. Écriture orange fluo sur fond de béton gris: «Travaille, consomme, crève! Vie de rêve?» L’auteur pourrait tout aussi bien être un adolescent en crise qu’un grand philosophe.

Cinq grandes enquêtes réalisées de 1986 à 2010 par Statistique Canada sur l’emploi du temps révèlent que les Québécois allouent désormais près de 46 heures par semaine au boulot, incluant les heures non rémunérées et le temps de déplacement vers leur lieu de travail. La semaine de travail des Québécois de 35 à 44 ans, souvent jeunes parents, s’est alourdie de six heures en 30 ans, et celle des «préretraités» (55-64 ans), de cinq heures depuis 20 ans. Lucien Bouchard n’en croit pas sa lucidité.

C’est bien beau d’exhorter les gens à lire, à se cultiver, à développer une conscience politique, à s’engager dans les luttes sociales; mais donnons-nous le temps! Quand j’entends dire que le monde est cave, je réponds: «Non, on n’a juste pas le temps d’être intelligents.» Ce manque de temps est commode pour la démagogie crasse des radios-poubelles et pour les «nouvelles» fast-food de TVA. Et le journal que vous lisez présentement est une p’tite vite d’info entre deux stations.

Sans temps, on ne manifeste plus, on s’évache devant la télé. On ne se cultive plus, on se divertit. On ne fait plus l’amour, on se masturbe sur le Net avec ce bon vieux Peter North et sa dégaine de lama. Le manque de temps crée un consommateur abruti plutôt qu’un citoyen engagé. On travaille plus, et le peu de temps qu’il nous reste est passé à consommer des cossins inutiles qui nous volent encore plus de temps. Trois TV plasma, des gadgets électroniques, un chalet, des meubles et une garde-robe pleine : ce sont tous des petits tueurs de temps. On se tue à obtenir, à utiliser et à entretenir ses avaleurs de vie.

Si on veut avoir plus de temps pour nous et pour la cité, les luttes syndicales devront oser pincer une gosse à Chronos. Il faut travailler moins, et avec le temps libéré, s’engager plus dans la collectivité. Réduire la semaine normale de travail à 32 heures, avec possibilité de prolonger les vacances. Le tout sans perte de rémunération et sans intensification du travail. Aller plus loin que seulement gérer son horaire efficacement; revoir l’organisation même du travail. La Suède a testé la journée de six heures avec succès. Une société capitaliste, c’est toujours plus de profits en le moins de temps possible. On n’est jamais assez performants. Impossible de nourrir un système à l’appétit infini.

Entre la course folle contre la montre et la trotteuse qui nous fouette les fesses, on fait du yoga. On pèse sur pause une petite heure durant la semaine, on se dit «je me ferai Bouddha au milieu du chaos» avant de replonger dans le maelström. À bout de souffle, on passe notre samedi devant la télé avec notre toast au beurre de peanuts et nos yeux de TDAH qui regardent lubriquement des chefs cuisiniers passer le doigt à leur mijoteuse à la télé! On mérite mieux que ça!

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