Le printemps est ce moment qu’on attend, qu’on espère impatiemment alors que s’étire la fin de l’hiver. Le printemps est aussi une sorte de contrée que, chaque année, on visite tous ensemble, un espace-temps où les règles de la vie commune sont renversées, car l’humain, sa chair, reprend la place d’où le froid l’avait chassé.
Au printemps, la vie peut enfin s’exhiber et se répandre dans l’espace public, le vrai, celui fait de rues, de places, de parcs, de terrasses, de chemins de forêt et de milliers de bancs où des étrangers s’assoient, côte à côte, le temps d’un instant. Sur les trottoirs, le pas ralentit. On flâne. On se regarde. On s’arrête pour jaser. Les enfants et les chiens batifolent. Les adolescents se taquinent. Les amoureux se câlinent.
Au printemps, les plaisirs charnels sont maîtres, et les idéaux aussi. Car le printemps est ce moment où l’exigence de justice et du meilleur de nous peut s’exprimer visiblement, chaotiquement, quand les règles du politique ne lui permettent pas de le faire par d’autres voies. Une exigence qui s’exprime autrement pendant l’hiver, mais qui peut enfin se faire voir et entendre.
Les manifestants français de Nuit debout ont répondu à l’appel du printemps pour rappeler aux puissants qu’ils ne se laisseront pas diminuer par une loi du travail qui ferait en sorte que «les salariés vivent dans la peur et sont tenus dans la peur» (Frédéric Lordon). Mais si le refus de cette loi a donné l’impulsion initiale, il n’est pas l’unique cause de ces manifestants, qui réclament un projet de société de gauche. Comme pour les printemps arabes, érable, les indignés et les Occupy, la revendication est d’abord dans le geste d’être ensemble dehors. L’approche de Nuit debout pourrait changer au cours des prochaines semaines, mais au départ, en occupant les places publiques, ces manifestants demandent symboliquement que le commun soit remis au cœur du projet de société.
Par un heureux hasard, la semaine dernière, la Cour d’appel de l’Ontario a donné raison au millier de personnes qui ont été détenues lors du sommet du G20 de Toronto, il y a presque six ans, et qui souhaitent poursuivre les autorités pour détention arbitraire. Le tribunal a noté que la police ne peut pas arrêter indistinctement des groupes de personnes dans l’espoir d’attraper quelques criminels. Oui, a-t-on dit aux manifestants, vous aviez le droit d’être dans la rue.
De la même façon, l’automne dernier, la Cour supérieure du Québec a déclaré invalide l’article 500.1 du Code de la sécurité routière, qui interdit les manifestations entravant la circulation automobile, à moins qu’elles ne soient «préalablement autorisées». Article que la police invoque régulièrement pour faire cesser des manifestations et procéder à des arrestations. «L’article 500.1 porte atteinte aux libertés d’expression et de réunion pacifique», indique le jugement. C’est une énorme victoire pour quiconque sait que l’espace public est un endroit pour l’expression et la rencontre des personnes et des idées, pas juste un lieu de passage, un intervalle entre deux espaces privés : le centre d’achat, la maison, le travail.
Le printemps est politique parce qu’il porte une promesse de renaissance, de transformation et de reprise des droits de l’humanité sur tout ce qui voudrait la cantonner, l’enfermer ou l’exclure – du pouvoir comme de la rue.