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Une pipée d’opium pour les enfants

Chaque année, lorsque le Gala Artis déploie ses ailes en or, je me rappelle ce portrait que j’ai vu lors du World Press Photo. On y apercevait un père afghan soufflant de la fumée d’opium sur le visage de son bébé pour l’aider à dormir. Dans certaines régions d’Afghanistan, les parents sont directement responsables de la toxicomanie de leurs enfants. Dans un reportage, une mère parlant de ses enfants opiacés disait : «Parfois ils dansent, parfois ils peuvent dormir trois jours d’affilée.» Le Gala Artis agit exactement de la même façon. À de nombreuses reprises, j’ai entendu des producteurs dire que les téléspectateurs ont l’intelligence mentale d’un enfant de cinq ans. Pour nous aider à dormir, les producteurs remplissent leur pipe de vedettes palliatives et nous soufflent le Gala Artis dans le visage. Ainsi, le téléspectateur, transformé en camé, chasse le dragon dans un monde parallèle : le star-système. Un univers complètement déconnecté de la réalité, narcissique, hiérarchique et antidémocratique.

«La fête de la télé», qu’y disent. On récompense la petite bourgeoisie télévisuelle déjà survalorisée pendant que le Québec subit encore les effets funestes de l’austérité et que de nombreux métiers et groupes citoyens sont dévalorisés. C’est un concentré de disgrâce. Avec leurs tuxedos et leurs robes trop chères, leurs dents trop blanches, leurs cennes «bleachées», ils défilent sur un tapis rouge comme l’aristocratie du XVIIIe siècle en faisant des bebye au peuple en pamoison devant le veau d’or. Quand j’entends une vedette remercier «le monde ordinaire», je me demande : «Faque toé, t’es qui? T’es extraordinaire? Heille, t’animes un quiz, où pour avoir plus de chances de gagner, vaut mieux être analphabète ou complètement défoncé au crystal meth.» Le trophée est une paire de ciseaux qui coupe la célébrité de la société qui l’a créé. Le trophée place son récipiendaire sur un piédestal disproportionné, il engraisse le faux concept du self-made-man et marginalise les membres de la société qui ne cadrent pas dans ce glamour prémâché aussi fade qu’un 7-Up flatte.

Pour paraphraser l’écrivain Pasolini : «La télé a réussi ce que le fascisme n’avait pas réussi : nous rendre tous pareils.» Au diable la diversité physique, ethnique et idéologique. La «fête» de la télé se fait toujours avec les mêmes visages, taillés dans le même moule homogène et blanc. Le plus grand combat des vedettes est de bien vieillir à la télé, malgré qu’elles aient en moyenne une espérance de vie de 10 ans supérieure à celle des femmes autochtones.

En défense aux vedettes, elles ne posent pas leur candidature pour être nommées; c’est le fruit de sondages. Plusieurs ont d’ailleurs un malaise avec ces cérémonies. Par contre, elles peuvent choisir de jouer ou non le jeu et faire comme si tout ça était normal.

J’accuse le star-système de nous détourner du bien commun, de vendre notre culture à des corporations psychopathes et de tenir en otage le rôle de l’artiste. Le seul trophée que méritent les vedettes de la télé, c’est un pot Mason plein d’pisse.

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