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Renvoi sur le Sénat: la cause prise en délibéré

OTTAWA – Une réforme du Sénat pourrait être très ardue, voire impossible si la Cour suprême ne permet pas au fédéral d’agir à sa guise, a laissé entendre l’avocat d’Ottawa, Robert Frater, jeudi, au dernier jour d’audience du renvoi sur la Chambre haute.

Pendant les trois jours de plaidoiries, l’ombre des considérations politiques n’a ainsi cessé de planer sur la Cour suprême du Canada.

Les huit juges ont finalement pris en délibéré cette affaire constitutionnelle, l’une des plus importantes de l’histoire du pays.

Et cet avis de la Cour sera une pierre angulaire de la fondation du Canada pour des décennies à venir, a affirmé l’avocat Mark C. Power.

«Ça va énoncer la feuille de route à suivre pour Stephen Harper ou un autre premier ministre pour modifier le Sénat, pour réformer la Chambre des communes ou moderniser le Canada», a déclaré celui qui était aussi procureur pour l’une des intervenantes dans cette affaire, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA).

C’est la première fois en plus de 30 ans, donc depuis la réforme constitutionnelle en 1981 du premier ministre Pierre Trudeau, que la Cour se penche sur la formule d’amendement prévue à la Constitution, a souligné Me Power.

Le gouvernement Harper souhaite limiter le mandat des sénateurs à neuf ans et tenir des élections sénatoriales — pour les provinces qui souhaiteraient en organiser. Pour accomplir ces objectifs, il avait déposé un projet de loi en 2011, depuis mort au feuilleton.

Ottawa a tout de même demandé à la Cour suprême comment il pourrait mettre en oeuvre ces changements, et veut aussi savoir s’il peut abolir le Sénat. Le fédéral est d’avis qu’il peut agir seul pour modifier la Chambre haute et que pour s’en débarrasser, il n’a besoin que d’obtenir l’accord d’une majorité de provinces.

La plupart des provinces, dont le Québec, sont plutôt d’avis que l’unanimité est requise pour abolir le Sénat.

Pour modifier la Chambre haute, elles sont partagées. La plupart soutiennent qu’une majorité des provinces est requise, comptant au moins 50 pour cent de la population du pays (la formule dite du 7/50), alors que certaines croient que le fédéral peut agir unilatéralement.

Alors qu’il répliquait aux arguments des provinces jeudi, l’avocat du procureur général du Canada a incité les juges à ne pas adopter une lecture trop stricte et littérale de la Constitution canadienne, et de plutôt suivre l’approche pragmatique proposée par Ottawa.

«Cela devrait permettre des actions significatives de réforme pour le Sénat plutôt que 135 autres années de discussions», a plaidé Me Frater pour le gouvernement du Canada.

Il portait ainsi l’argument du gouvernement Harper, qui ne souhaite pas rouvrir la boîte de Pandore qu’est la Constitution, et ne veut pas s’empêtrer dans des débats constitutionnels qui pourraient durer des années. Le fédéral a opté pour une réforme plus modeste du Sénat, visant des changements qui peuvent s’effectuer, selon lui, sans les provinces. Et par simple loi, sans amendement constitutionnel.

Mais au cours des deux derniers jours, la majorité des provinces ont fait valoir que les modifications à la Chambre haute ne peuvent se faire sans elles. Et cela, même si le terrain des négociations se transforme parfois en champs de bataille entre le fédéral et les provinces.

Pour l’avocat de la FCFA, Mark Power, le problème politique va d’ailleurs beaucoup plus loin que le problème juridique en jeu.

«La formule juridique (d’amendement constitutionnel) est difficile, convient-il, mais ce n’est pas une raison de l’écarter.»

Jeudi, le débat sur l’impact de la réforme d’Ottawa sur l’indépendance du Sénat a eu aussi une odeur politique.

Des juges de la Cour suprême semblaient inconfortables avec l’idée de tenir des élections «facultatives» pour les sénateurs. Et d’avoir au Sénat à la fois des sénateurs nommés et des sénateurs élus.

La juge Rosalie Abella se questionnait sur la légitimité qu’auraient ces deux types de sénateurs.

«Vous n’avez pas à évaluer les conséquences politiques», mais plutôt à déterminer si le changement est possible en vertu de la Constitution, a rétorqué John Hunter, l’un des avocats nommés par la Cour suprême pour la conseiller.

Il a d’ailleurs donné raison à Ottawa sur un point: l’élection de sénateurs, parce qu’elle serait non contraignante, ne constitue pas un changement important au point de requérir un amendement à la Constitution. Le fédéral peut donc agir seul.

Me Frater a aussi fait valoir qu’à l’époque, les Pères de la Confédération se sont mis d’accord pour avoir des sénateurs nommés pour des raisons pratiques: le coût pour contester des élections était jugé trop élevé. Ce problème n’existe plus avec la technologie, argue-t-il.

Et le mode de sélection des sénateurs n’est donc pas coulé dans le béton. Les institutions du Parlement peuvent ainsi évoluer avec le temps, a-t-il résumé.

Pour ce qui est de l’abolition, les deux avocats nommés par la Cour — John Hunter et Daniel Jutras — ont convenu que l’unanimité était la règle.

Il pourrait s’écouler des mois, voire plus d’une année, avant que la Cour suprême ne rende son opinion très attendue.

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