La violence envers les femmes handicapées, un tabou
Les femmes handicapées sont victimes de violence dans des proportions très élevées. C’est ce que souhaite rappeler le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada (RAFH) à l’occasion de la Campagne des 12 jours d’action pour l’élimination de la violence envers les femmes, qui débute lundi.
Il y a de cela une dizaine d’années, Geneviève Morin-Dupont a dû se rendre à l’hôpital, en état de choc. Cette jeune trisomique venait de se faire agresser sexuellement par quelqu’un qu’elle connaissait. Quelques années plus tôt, à l’école, elle avait aussi été attaquée par un groupe de garçons qui avaient rit d’elle, l’avaient déshabillée et l’avaient ainsi photographiée.
«Ça fait longtemps, mais c’est encore très difficile pour elle», confie sa mère, Hélène Morin.
Selon Mme Morin, ces hommes ont profité du fait que sa fille est peu méfiante envers les gens pour avoir du pouvoir sur elle. «Elle est plus à risque que les autres parce qu’elle n’est pas très vigilante, estime-t-elle. Elle va croire que tout va bien, elle ne sentira pas les signes de danger jusqu’à ce que l’agression se passe.»
Plusieurs études indiquent que Geneviève est loin d’être la seule femme dont le handicap a ainsi été exploité par des hommes mal intentionnés. Toutes révèlent que les femmes handicapées sont plus susceptibles d’être victimes de divers types de violence que les autres femmes et que les hommes handicapés. Par exemple, elles sont près de deux fois plus sujettes à la violence conjugale que les autres femmes, selon Statistique Canada.
Une étude présentement en cours, financée par le Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (CRIVIFF), cherche d’ailleurs à faire le portrait de la violence envers les femmes handicapées au Québec. Des entrevues ont déjà été réalisées auprès de 14 femmes entre 21 et 64 ans atteintes de divers handicaps physiques, mentaux et sensoriels.
«Toutes les femmes participantes ont témoigné avoir vécu de la violence psychologique, verbale ou émotionnelle», fait remarquer Isabelle Boisvert, étudiante au doctorat en psychologie communautaire et elle-même atteinte de paralysie cérébrale.
On les a rejetées. Elles se sont fait dire qu’elles n’étaient pas belles, que personne ne pourrait jamais les aimer, qu’elles devraient choisir un métier où elles seraient cachées.
«Un autre fait saillant est qu’elles ont pratiquement toutes subi au moins deux formes de violence, qu’elle soit systémique, physique, sexuelle, économique ou encore de la négligence, à plusieurs stades de leur vie», poursuit Mme Boisvert.
Et il y a beaucoup d’obstacles à la dénonciation. L’isolement, le manque de formation des policiers et de divers intervenants, les préjugés persistant par rapport à la sexualité des personnes handicapées. Plusieurs d’entre elles sont dépendantes des gens qui les agressent, et ont peur de ce qui leur arriveraient sans eux.
«Cette violence se vit derrière des portes closes, se désole Selma Kouidri, responsable de l’inclusion au RAFH. En parler est très tabou, même dans le milieu des personnes handicapées.»
Il ne faut pourtant pas croire que les femmes handicapées se posent en victimes et s’apitoient sur leur sort, souligne Mme Boisvert. Plusieurs ont finalement cherché de l’aide auprès d’intervenants qu’elles connaissaient déjà, et se sont données des stratégies pour être plus autonomes.
«Geneviève a été très forte et courageuse, affirme de son côté Hélène Morin. Elle était prête à témoigner en cours.» Le procès n’a finalement pas eu lieu, puisque son agresseur a admis sa culpabilité.
En février dernier, Geneviève a pris la parole à un Forum de sensibilisation organisé par le RAFH. Elle a raconté son expérience et appelé les autres femmes à ne pas se laisser faire. Elle a aussi joué récemment dans le film québécois Gabrielle.
Violence
Environ 40% des femmes en situation de handicap rapportent avoir vécu de la violence au cours de leur vie, selon une étude du Réseau d’action des femmes handicapées du Canada (RAFH).
Journée internationale
Le 25 novembre est la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
- Cette journée lance aussi la Campagne des 12 jours d’action pour l’élimination de la violence envers les femmes, dont le thème est «Les femmes sont toujours victimes de violence parce qu’elles sont des femmes. Nier les inégalités met les femmes en danger!».
- Plusieurs activités de sensibilisation auront lieu à travers la province, de même qu’un rassemblement public, le 6 décembre devant le Palais de Justice de Montréal, pour commémorer le souvenir des victimes de la tuerie de Polytechnique de 1989.
- Le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada (RAFH) est membre du comité organisateur de cette campagne.