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Vanesa Garcia-Ribala Montoya: danse d’humanité

Photo: Chantal Lévesque / Métro

Petite, Vanesa Garcia-Ribala Montoya regardait des spectacles de ballet retransmis à la télé, avec les pointes, les tutus, les pirouettes. «Oh. Je veux faire ça moi aussi, maman.» En entrant dans son premier cours, elle a eu un choc. Finalement, ce n’était pas «une séance de déguisements». Finalement, c’était vraiment dur. «En plus, je n’avais pas les caractéristiques parfaites, cliché, pour être ballerine. Malgré la douleur, j’ai persévéré.» Aujourd’hui, elle dit vivre son rêve. Même si elle se heurte parfois à certains préjugés.

Depuis son entrée aux Grands Ballets canadiens en 2006, où elle a été promue demi-soliste en 2008, puis soliste l’année suivante, Vanesa Garcia-Ribala Montoya se sent chez elle. La compagnie, c’est sa maison. Mont­réal est sa maison.

Née à Madrid d’une mère espagnole et d’un père de la Guinée équatoriale, Vanesa est passée par le conservatoire de sa ville natale. «J’ai failli ne pas être prise, se souvient-elle. Il y avait tous ces tests de flexibilité, de rythme. Mais j’étais si motivée, si passionnée, qu’ils m’ont dit d’accord. On te donne une chance.»

Cette chance, elle l’a saisie à bras le corps. Diplômée à 17 ans, elle a obtenu son premier emploi au sein de la Compañía Nacional de Danza 2, alors sous la direction de Nacho Duato. Elle y a passé deux ans. Les choses qu’elle y a apprises, par contre, restent encore dans son cœur. «Ça veut tellement dire pour moi.»

Ce qui veut dire encore plus : tout ce que sa mère a fait pour elle. «Elle a toujours travaillé très fort pour m’assurer une bonne éducation. Elle a toujours soutenu mon rêve. Je viens d’une famille modeste, monoparentale. C’était très peu probable que je réussisse à aller aussi loin. Mais quand quelqu’un fait tant de sacrifices pour que vous puissiez mener une vie meilleure, vous ne pouvez pas rater votre coup. Il fallait que je réussisse», raconte Vanesa, les joues striées de larmes. «Pardon, je deviens émotive. Parce que… c’est dur. Mais je suis fière de prouver à tous ces gens qui croyaient que j’échouerais qu’ils avaient tort.»

En effet, Vanesa n’a jamais cessé de danser. Après Madrid, elle a joint le Ballet du Rhin, à Mulhouse. Une expérience moins heureuse. «Il y avait des tensions raciales, ce n’était pas très ouvert, je suis presque tombée en dépression. Ce n’était pas un endroit pour moi.»

«L’orientation, l’apparence, l’origine d’une personne… Pour moi, ces choses ne sont pas importantes. Ce qui l’est, par contre, c’est la façon dont elle contribue à la société, au monde.»

C’est alors qu’elle a vécu «un de ces moments où le train passe, et où on ignore s’il en passera un second». Ce «train»? Une offre pour se joindre aux Grands Ballets. «J’ai sauté à bord. Maman, papa, je pars pour le Canada!»

De ce pays, qu’elle habite depuis 11 ans, elle aime l’effervescence, la diversité, l’ouverture. Mais récemment, cette vision de sa terre d’adoption a été secouée. Dans une lettre d’opinion publiée dans nos pages, un lecteur reprochait à sa compagnie de l’avoir forcée, puisqu’elle n’est pas blanche, à se teindre les cheveux en blond pour interpréter la Fée Dragée. («Qui n’est même pas humaine», ajoute-t-elle, découragée.) «D’ordinaire, j’aurais laissé aller en disant : c’est juste quelqu’un qui ne sait pas de quoi il parle. Mais j’ai entendu ce genre de commentaires racistes tant de fois dans ma vie!»

C’était celle de trop. Elle a été heurtée, son copain aussi. Tout comme plusieurs danseurs de sa compagnie. «Je tente toujours de me battre, de surmonter les épreuves. Mais je suis sensible, je suis humaine, je ressens la douleur.»

Elle ressent aussi l’impression de parfois être «prise dans un entre-deux, dans un vide, de recevoir de la haine de toutes parts». «Tu n’es pas assez blanche, tu n’es pas assez noire. Tu es… floue.»

Un autre incident particulier lui revient en mémoire. C’était à Toronto, durant le festival Fall for Dance, en face du théâtre où elle se produisait. «Des hommes m’ont demandé si je me teignais les cheveux parce que j’étais gênée de mes racines et que j’essayais d’être blanche. Puis ils m’ont conseillé de m’éduquer au sujet de mes origines africaines.»

«J’ai répliqué pardon, mais vous ne me connaissez pas. Moi, si. Tout comme je connais mes origines, merci bien.» Elle soupire. «Toujours se défendre, toujours se justifier. C’est tellement frustrant. Pourquoi ne pas simplement laisser les gens être?»

Et elle, sa façon d’être, c’est la danse? Un sourire illumine son visage. «C’est ma passion.» Particulièrement contemporaine. Parmi ses chorégraphes favoris, on trouve l’Israélien Ohad Naharin, duquel elle interprète présentement le Minus One à la Place des Arts. «Une grande pièce du répertoire des Grands Ballets portée par une énergie de groupe qui ne faiblit pas. Cette chair, ces os, cette sueur, ces muscles. C’est physique, athlétique, magnifique!»

Dernièrement, Vanesa s’est à son tour lancée dans la chorégraphie, «une bête complètement différente de l’interprétation». Son but? Sonder si elle pourra faire ça à l’avenir, quand ses années de danseuse professionnelle seront derrière elle («touche du bois»). «Créer des mouvements, c’est la meilleure façon d’exprimer ce que je ressens, ce que je vois, ce que je pense, confie cette admiratrice de Crystal Pite. Ce sont les seuls mots que je peux pleinement comprendre.»

Pour sa première création, elle a plongé dans «les instincts naturels et les rythmes intérieurs, tribaux, exécutés presque en transe». Dans sa seconde, Bateau de liberté, elle a rendu hommage à Haïti, «à sa culture, à son histoire et à ses gens si beaux». Toujours inspirée, l’artiste trentenaire a également imaginé un duo avec son meilleur ami, Célestin Boutin, «l’autre blond aux cheveux frisés des Grands Ballets». Un morceau dans lequel les complices explorent l’ego. Son côté destructeur, tout comme son importance : «Il faut se respecter, s’aimer, connaître sa valeur, mais aussi accepter ses défauts.»

Ce que Vanesa n’accepte toujours pas, par contre, ce sont «les vieux clichés qui dominent sa profession». Notamment que les danseurs noirs n’ont «pas le corps qu’il faut». «Tout doucement, ça commence à changer. Mais c’est long. Trop long. Je ne voudrais plus que les gens disent : oh! une danseuse noire! J’aimerais simplement que ce soit normal. C’est mon seul désir.»

Minus One
Au Théâtre Maisonneuve
Jusqu’au 1er avril

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