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Les «médicaments numériques» sont à nos portes

Pills and Stethoscope with Tablet, Capsule in pill Container Mobile Phone Photo: Getty Images/iStockphoto

Des experts prédisent que les «médicaments intelligents» pourront bientôt non seulement suivre l’état d’un patient mais aussi diagnostiquer et même prévenir certaines maladies. Métro s’est demandé si cela relevait de la science-fiction.

Une petite révolution frappe déjà à la porte du monde de la santé. Pour la première fois de son histoire, la Food and Drug Administration (FDA) – l’agence responsable d’autoriser la commercialisation de médicaments aux États-Unis – a récemment approuvé un «médicament numérique».

Chaque pilule d’Abilify MyCite, un médicament utilisé dans le traitement de troubles psychotiques, de l’humeur et d’anxiété, émet un signal électronique lorsqu’on l’avale. Ce signal est capté par un récepteur et transmis à toutes les personnes désignées par le patient, y compris les médecins, les infirmières et les membres de sa famille.

Des experts de partout sur la planète croient que la décision de la FDA représente une avancée majeure dans ce secteur d’activité, ce qui aidera grandement les personnes qui oublient de prendre leurs médicaments.

Toutefois, il faudra attendre avant de voir l’effet réel qu’aura la technologie utilisée par l’Abilify MyCite. Bien que près de deux patients sur trois ne prennent pas leurs médicaments selon la posologie prescrite, il est encore trop tôt pour savoir si un suivi numérique permettra de corriger le tir. Plusieurs patients décident sciemment de ne pas prendre leurs médicaments à cause des effets secondaires ou parce qu’ils croient ne plus en avoir besoin. Un «médicament intelligent» ne changerait pas nécessairement ces comportements. Pour les patients, recevoir un message leur rappelant ce qu’ils ont choisi de ne pas faire pourrait même susciter de la colère.

Toutefois, selon Paul Appelbaum, directeur de la division du droit et de l’éthique au département de psychiatrie de l’université Columbia, à New York, les médicaments du genre sont là pour rester.

«Les médicaments intelligents sont surtout utilisés chez les patients atteints de maladies et de troubles qui les rendent susceptibles d’oublier de prendre leur médication, en début d’Alzheimer, par exemple, explique-t-il. Ces médicaments pourraient aussi permettre aux médecins de découvrir les oublis de leurs patients et de leur rappeler l’importance de prendre les médicaments. Mais leur succès dépend grandement de la volonté des patients de voir leur prise de médicaments monitorée. Ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise avec cette idée.»

Ces médicaments du futur ne serviront pas que pour ces rappels: ils seront plus «bavards» que ça. En plus de «parler» au corps médical, ils pourront «voir», «écouter» et «sentir». Le système de santé est de plus en plus branché et fait une grande place aux nouvelles technologies. Selon des experts, des médicaments comme MyCite font partie intégrante de cette révolution numérique.

«Il existe un potentiel énorme, indique John Torous, moniteur clinique en psychiatrie à l’école de médecine de l’université Harvard. Grâce à des recherches éthiques soignées et à l’implication de la communauté de patients, l’arrivée de médicaments comme MyCite a le potentiel d’aider les gens à rester en santé à l’extérieur des hôpitaux.»

«Un tel traitement permet aussi aux patients de recevoir des informations personnalisées sur ce que la médication fait pour eux, en plus de leur donner l’occasion de prendre des décisions plus éclairées, au côté du médecin, au sujet de leur médication», explique M. Torous.

«Ce nouveau type de médicaments a également un potentiel énorme pour les maladies qui ne sont pas liées à la santé mentale, poursuit-il. Les informations personnalisées en temps réel sont précieuses dans presque n’importe quel cas.»

Et la vie privée?
Malgré tous les avantages, les médicaments intelligents pourraient soulever des problèmes et des controverses. L’un d’eux concerne la vie privée des patients. Il existe des soucis quant à l’aspect privé des données recueillies. Certains craignent qu’elles ne soient utilisées à des fins commerciales. C’est d’ailleurs une inquiétude bien réelle avec les applis de téléphones intelligents qui surveillent des problèmes de santé. La même question peut se poser avec les médicaments numériques.      

«La vie privée est au cœur des problèmes, souligne Dolores Malaspina, psychiatre à l’école de médecine Icahn de l’hôpital Mount Sinai, à New York. Le fait de prendre des médicaments monitorés peut sembler restrictif et intrusif. Mais pour certains patients, la simple prise de médicaments est gage d’indépendance. Sans certains traitements, des personnes aux prises avec des problèmes de mémoire ou d’organisation devraient être hospitalisées ou recourir à une assistance dans leur vie de tous les jours.»

«La question du contrôle est importante ici, croit la psychiatre. Les droits des patients, y compris le droit de ne pas être médicamentés s’ils ne mettent pas leur vie ou celle des autres en danger, sont primordiaux. Des diagnostics ont été posés à tort envers des prisonniers politiques par le passé.»

Mais dans tous les cas, des experts voient d’un bon œil le fait d’avoir sous la main de nouveaux outils afin que médecins et patients collaborent à trouver une médication adéquate, à appliquer la posologie et à réduire la dose au besoin. Il semble clair que les médicaments numériques se multiplieront dans un avenir rapproché afin de traiter diverses maladies. 

«Les médicaments numériques auront un rôle utile bien que limité dans le système de santé, croit Paul Appelbaum. C’est parfait ainsi. Chaque avancée dans les soins offerts aux patients est bénéfique.»

Et au Canada?
À ce jour, Santé Canada n’a pas reçu de demande d’autorisation pour un médicament numérique. Le ministère fédéral est toutefois bien au fait de l’existence de cette technologie et surveille de près son développement.

Si Santé Canada était appelé à évaluer un tel médicament, des enjeux éthiques seraient pris en compte. «Dans ce cas particulier où le produit est équipé d’un capteur qui fait un suivi de la digestion et qui est relié à une application mobile, des assurances sur la cybersécurité du produit et la possibilité d’un formulaire de consentement pour le patient (ou la personne responsable du patient) seraient considérées au cours d’une éventuelle évaluation», a indiqué le ministère.

D’ailleurs, Santé Canada a mis sur pied en mars dernier une division de la santé numérique, responsable de rédiger «les lignes directrices concernant la cybersécurité des instruments médicaux».

«C’est une étape importante»

John Torous, moniteur clinique en psychiatrie à l’école de médecine de l’université Harvard

Que sont les médicaments intelligents et comment peuvent-ils nous aider?
Dans un système de santé de plus en plus branché, nous voyons poindre une nouvelle génération de médicaments capables non seulement de soigner le patient mais aussi de fournir de l’information en temps réel sur son état.

Quels sont les principaux défis liés à la prise de médicaments de ce type?
Les créateurs de MyCite ont travaillé avec des éthiciens biomédicaux lors de la conception du médicament. Ils se sont rendu compte qu’il était essentiel que cette médication soit utilisée de façon éthique et que les données soient collectées dans le but d’améliorer la santé des patients. Bien que toute avancée technologique et numérique représente des risques quant à la sécurité des données, je suis confiant qu’en travaillant de concert avec des experts en sécurité numérique, ces risques seront minimes. Dans un système où la médecine [et les médicaments] sont plus personnalisés, il faut éduquer le corps médical afin qu’il utilise ces innovations à bon escient.

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