L’exercice périlleux
Le gouvernement Couillard annonçait dernièrement souhaiter «ouvrir un dialogue» sur la question constitutionnelle, histoire de surfer sur la récente demande de réforme formulée par les Premières nations.
Quoi penser de ceci? Bonne ou mauvaise nouvelle? Dépend, évidemment, de notre point de vue sur la question nationale.
Si Couillard remportait son pari, c’est-à-dire que Québec adhérait symboliquement à la Loi constitutionnelle de 1982 (il y est déjà lié en droit), ceci sonnerait probablement le glas, du moins à moyen terme, du mouvement souverainiste. Ayant déjà un genou au sol, un tel coup sur la noix de ce dernier pourrait s’avérer fatal.
De l’autre côté, cela dit, tenter d’ouvrir de nouveau la Constitution relève, et c’est un euphémisme, de l’exercice périlleux. Demandez à Machiavel. Ou encore à quiconque ayant étudié, un tant soit peu, l’histoire politique canadienne.
Des preuves? Après le Statut de Westminster, Ottawa et les provinces ont, à cinq reprises, échoué le test suivant: celui de s’entendre sur les formules d’amendement nécessaires au rapatriement de la Constitution au pays. Cinq échecs de suite.
Bien que la sixième fois fut la bonne, celle-ci a laissé des traces, quasi-indélébiles, sur les terres politiques des Pères fondateurs: le jeu des négociations, mené par un Trudeau pressé d’en finir, fait alors en sorte que Québec soit laissée de côté. On parle encore, aujourd’hui, de la fameuse «nuit des longs couteaux» (expression fallacieusement empruntée, cela dit, à l’Allemagne nazie, où les SS ont assassiné, en 1934, les SA).
Ceci mène, ensuite, à l’Accord du Lac Meech. Présenté comme la manière ultime de réintégrer le Québec dans la famille canadienne dans l’honneur et l’enthousiasme, l’exercice vire à la catastrophe. Bien que l’affaire déraille pour des raisons principalement procédurales, l’échec de l’accord propulsera les appuis à la souveraineté québécoise à un sommet historique.
Dernière tentative, l’Accord de Charlottetown. Échec également, cette fois par référendum. Pourquoi? Parce qu’on avait décidé, afin d’éviter les erreurs de Meech, de ne pas concentrer l’ensemble des efforts sur le Québec. Que chaque province allait y trouver son nanane. Idem pour les nations autochtones. Erreur magistrale. À forcer d’accorder une chose et son contraire (reconnaître par exemple le caractère unique du Québec en plaidant l’égalité des provinces), le politique en vint à exciter le bullshit-ô-mètre des électeurs. L’accord est battu.
La récente proposition du gouvernement Couillard peut ainsi surprendre. Comme il l’admet lui-même, il est peu probable que les partenaires de la fédération accueillent avec enthousiasme son désir de relancer les pourparlers constitutionnels.
Le piège se trouve, justement, dans ces quelques mots.
Qu’arrivera-t-il si ces mêmes pourparlers échouaient, par exemple aux suites d’une mauvaise foi patente de X ou Y province? Comment ce «rejet» serait-il alors perçu au Québec? Ceci ne ferait-il pas le pain et le beurre d’un Jean-François Lisée? N’en viendrait-on pas à réallumer la flamme souverainiste, un peu comme l’échec du Lac Meech avait contribué à le faire? Rappelons en effet que seulement 4% des Québécois se disaient indépendantiste au début des négociations de ce même Meech. Et que ces appuis sont passés, lors de l’échec de celui-ci, à quasiment 70%.
En bref, il est certainement noble et légitime pour le gouvernement Couillard de souhaiter négocier la place symbolique du Québec à même la Constitution. Si le passé est effectivement garant de l’avenir, il s’agira, cela dit, d’un sacré coup de dés. Celui qui peut transformer un climat politique en un rien de temps.