Désarmorcer la bombe du terrorisme
L’histoire, c’était prévisible, allait exciter la presse. Normal, quand même. Le terrorisme constitue indubitablement un des pires fléaux contemporains (ex æquo avec l’islamophobie, ironiquement).
Alors voilà: il y a quelques semaines déjà, Sabrine Djermane et El Mahdi Jamali ont enfin appris leur verdict à leur procès. Le mot enfin est justifié ici. Ou peut-être pas. C’est plutôt un euphémisme, quand on y pense. En effet, les deux accusés ont été incarcérés au printemps… 2015. Plus de 30 mois derrière les barreaux avant d’être finalement jugés… et acquittés. Encore des doutes sur la pertinence de l’arrêt Jordan, quelqu’un?
Acquittés, donc, d’à peu près tout. Mais pas devant le tribunal de l’opinion populaire, bien entendu. À moins d’être excessivement appréciées du public, de simples accusations non encore prouvées en viennent d’ordinaire à vous rendre définitivement coupable aux yeux de celui-ci.
Particulièrement si les infractions reprochées touchent, que ce soit de près ou de loin, aux questions de terrorisme. Appelons ça l’antithèse de la présomption d’innocence. Celle qui est dorénavant utile uniquement dans le cas suivant: quand les gens vous aiment la face. Pratique au max.
Mais peu importe. À la suite d’une décision du jury, Sabrine Djermane est acquittée de tous les chefs d’accusation, c’est-à-dire d’avoir eu en sa possession une substance explosive dans un dessein dangereux, d’avoir tenté de quitter le Canada en vue de commettre un acte terroriste à l’étranger et d’avoir commis un acte au profit ou sous la direction d’un groupe terroriste (État islamique).
À l’instar de sa conjointe, El Mahdi Jamali a lui aussi été blanchi de tous les chefs liés au terrorisme. Condamnation, cela dit, pour avoir eu en sa possession, sans excuse légitime, des ingrédients servant servir à la fabrication d’une bombe artisanale. Il s’agit ici, précisons-le, du chef réduit d’une infraction drôlement plus substantielle, celle d’avoir eu en sa possession une substance explosive, infraction principale pour laquelle il était d’abord accusé.
Et qui a déterminé la non-culpabilité du couple quant aux infractions afférentes au terrorisme? Un juge multiculturalo-islamo-bolchevico-gauchiste? Un excité de la Charte à Trudeau? Un ancien donateur du Parti libéral nommé par celui-ci?
Non. Même pas proche. Plutôt un jury qui, à l’unanimité et après avoir analysé la preuve présentée, a conclu à l’innocence des deux accusés. Des jurés neutres et objectifs, sans préjugés favorables. Qui ont fait un job qu’on présume honnête. Le couple, nous ont dit ces jurés, ne cherchait pas à se rendre en Syrie pour prendre part au djihad ni ne désirait fabriquer une bombe au profit d’un groupe terroriste*.
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Mais cet acquittement quasi complet n’a pas pu venir à bout de la méfiance du public. Pas de fumée sans feu, c’est bien connu. Une annonce récente a par ailleurs ajouté une ou deux bûches au foyer de la vindicte populaire: les deux bougres seront prochainement consultants pour le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV). Leur tâche? Créer des outils de prévention et conseiller le centre sur «la compréhension du processus d’endoctrinement des jeunes au Québec».
Voici ce qu’a dit le directeur du CPRMV: «On s’appuie sur l’expertise de ces jeunes-là. J’ai beau avoir un doctorat, je ne sais pas ce qui se passe dans une prison.»
Je dis bravo. Tant en matière de réinsertion sociale que de pertinence pour la lutte contre l’endoctrinement. Parce que si celle-ci est à prendre au sérieux, encore faut-il l’adresser sans à-priori ni rengaine, en acceptant d’aller au cœur de l’affaire. Malgré l’insécurité ambiante.
* La Couronne a porté en appel le verdict du jury sur la possession, par Sabrine Djermane, d’ingrédients dangereux. Rien sur les infractions de terrorisme pur. Attendons de voir la décision de la Cour d’appel.