Non, l’élevage de bétail n’est pas responsable de 51% des émissions de gaz à effet de serre
PANIQUE!
Voilà le bouton sur lequel pèsent sans cesse toutes sortes de petits coquins sur internet. Vous voyez, en exagérant tout problème, il devient facile de faire peur aux gens et d’attirer l’attention sur votre cause.
Un exemple récent de cette tendance:
Cette vidéo nous apprend entre autres que le bétail est responsable de 51% des émissions à gaz à effet de serre (GES) de la planète!!! On ajoute que la consommation de viande est la cause de «presque toutes les sortes de destruction environnementale». (L’inspecteur viral souhaiterait simplement qu’ils aillent faire un tour dans une exploitation de sables bitumineux)
Mais bon, il est avant tout important de déterminer d’où provient cette information.
Premièrement, la vidéo a été produite par le site britannique de contenu viral à saveur universitaire UniLad, bien connu pour ses farces sexistes qui minimisent le viol. Un article publié sur ce blogue en 2012 avait causé une controverse, puisqu’on expliquait aux jeunes hommes que seulement 25% des femmes «ne sont pas des salopes», et que, si ces dernières ne veulent pas coucher avec vous, «85% des viols ne sont jamais signalés. Il nous semble donc que les probabilités soient en votre faveur.»
Oui, c’est une vidéo de ce site que vous partagez.
D’où viennent les chiffres?
Ce fameux 51% vient d’une étude publiée par le Worldwatch Institute. L’article n’a pas été soumis à l’évaluation par les pairs, et n’a donc pas de validité scientifique. Les résultats de cette étude ont d’ailleurs été repris par le populaire documentaire Cowspiracy, qui fait tout un tabac sur Netflix, et c’est surement pourquoi nous retrouvons ici ce chiffre.
En réalité, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), 14% des émissions de GES sont attribuables à l’agriculture, bétail et plantes confondues. C’est loin derrière la production d’énergie (26%), et en deçà de l’industrie lourde (19%) et de l’industrie forestière (17%).
Ces chiffres datent de 2004, mais l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que les émissions attribuables à l’agriculture ont augmenté de 14% entre 2001 et 2011, ce qui porterait la part de l’agriculture à 16% des émissions globales. On est donc loin du 51%. Et, il faut le rappeler, ce chiffre est pour l’ensemble des activités de l’agriculture, et non seulement pour le bétail.
L’étude du Worldwatch Institute, qui nous a donné le chiffre de 51%, a été sévèrement critiqué par la communauté scientifique. Dans cet article, signé par 11 scientifiques et publié dans un journal scientifique respecté (et donc soumis à l’évaluation par les pairs), on explique que l’étude du Worldwatch Institute offre une vision «simplifiée» des GES, et que «la méthodologie utilisée comporte des lacunes» (vous pouvez lire gratuitement la version intégrale de ce papier ici.)
Parmi les problèmes relevés:
1) Les auteurs ont décidé d’inclure la respiration des animaux dans leur calcul des émissions de GES. Le hic, c’est que le CO2 expiré par les bêtes provient des plantes qu’elles ont mangé, qui, elles, ont capté ce CO2 de… l’atmosphère. Si ces plantes n’avaient pas été mangées par un animal, elles seraient mortes, et auraient dégagé leur CO2 de toute façon. L’apport additionnel de CO2 est ainsi (presque) nul. Donc, expliquent les chercheurs, il n’est pas raisonnable d’inclure la respiration dans les calculs d’émissions. L’inspecteur ajouterait que, si nous faisions cela, il faudrait aussi inclure la respiration de tous les animaux de la planète, humains inclus, ce qui est ridicule.
2) Les auteurs surestiment l’importance du méthane. La vidéo mentionne que le méthane produit par le bétail est de «25 fois à 10 fois plus destructeur que le CO2». Le hic, c’est que le méthane perdure dans l’atmosphère pendant 12 ans, alors que le CO2 peut y rester pendant des milliers d’années. On ne peut pas faire de comparatif direct entre l’impact environnemental potentiel du méthane et celui du CO2. C’est comme comparer des pommes et des oranges (malodorantes).
Et ainsi de suite.
Donc?
Est-ce que les humains mangent trop de viande? Sans aucun doute.
Est-ce que l’élevage de bétail est bon pour l’environnement? Sûrement pas.
Mais cela ne veut pas dire qu’on peut avancer des chiffres bidons basés sur de la mauvaise science pour faire valoir son point de vue. Que notre cause soit louable ou non, rien n’excuse le recours à la désinformation. De plus, le fameux 51% des émissions de GES faussement attribué au bétail «crée de la confusion et détourne l’attention des pratiques anthropocentriques qui ont le plus important impact sur les émissions de GES», concluent les auteurs de l’étude citée plus haut.
La désinformation, c’est non.